25/04/2006
Retour sur l'inhibition de l'action
Koz a publié hier un billet intéressant qui me donne l’occasion de revenir sur la notion d’inhibition de l’action. J’ai déjà abordé cette notion en filigrane dans plusieurs de mes billets sur la gestion du stress, et de façon plutôt appuyée dans mon billet sur la gratification et la concurrence, mais je voudrais y revenir à nouveau pour préciser certains points. Sans doute y aura-t-il quelques redites par rapport à ce que j’ai pu écrire ici ou là, mais après tout, la pédagogie c’est peut-être savoir répéter les choses en partant d’angles varié.
Un des éléments qui nous guide de façon universelle est la recherche de l’équilibre, c’est-à-dire de l’équilibre intérieur. Nous avons besoin de nous sentir bien dans notre corps (en bonne santé) et bien dans notre tête (équilibre psychologique). Il en va de même chez toutes les populations, et à toutes les époques, que l'on soit européen, chinois, congolais ou kwakiutl. En effet, à chaque instant, notre organisme réagis aux stimuli qu’il subit, afin de rétablir l’équilibre que ceux-ci peuvent fragiliser. Un peu comme un funambule avançant sur une corde mince, notre corps nous informe lorsque nous penchons trop à droite ou trop à gauche pour nous permettre de rétablir la situation initiale et de continuer à avancer.
Afin d’atteindre ou de conserver cet équilibre, nous mettons en œuvre tout une batterie de moyens, certains basiques (manger, dormir), d’autres beaucoup plus élaborés (comme réfléchir – il faudra que je revienne précisément sur ce point plus tard, dans un autre billet). Tous ces moyens, pour divers qu’ils soient, reviennent en fait à réaliser le même objectif : nous procurer un plaisir qui rétablit un équilibre perdu ou insuffisant. Par exemple quand j’ai faim, le ventre me tenaille et me fait un peu mal, j’ai alors besoin de stopper cette souffrance en m’alimentant, ce qui va me faire retrouver l’état d’équilibre dans lequel j’étais avant d’avoir faim (le fait que la nourriture soit bonne est un détail en fait, disons que si elle l’est, c’est un plaisir rajouté).
Ces plaisirs que nous recherchons, ce sont les fameuses gratifications dont j’ai parlé de façon plus précise dans le billet indiqué plus haut. C’est par l’obtention de ces gratifications que nous pouvons parvenir à conserver notre équilibre biologique (corporel et psychologique). Si l’on ne parvient pas à les obtenir, on se trouve alors constamment en situation de déséquilibre, de manque, et cela peut conduire à des dégradations importantes du comportement et/ou de la santé.
Or, dans la situation de concurrence inévitable créée par la recherche des gratifications, ce que les hommes ont trouvé de mieux pour s’assurer leur obtention c’est le pouvoir. C’est par le pouvoir que l’on parvient à se tailler une part plus grande de gratifications. Plus on a de pouvoir, plus on peut obtenir de gratifications, plus on peut se faire plaisir et, au-delà de la seule réponse à nos besoins, plus on peut répondre à nos pulsions orientées vers le plaisir.
Et inversement, moins on n’a de pouvoir, moins on peut obtenir de gratification et ainsi satisfaire ses besoins et ses envies. On est alors dans l’inhibition de l’action, c’est-à-dire dans l’incapacité d’agir nous-même pour obtenir nos gratifications. Cette situation met les personnes concernées dans une situation difficile à supporter, d’autant qu’elle s’accompagne souvent d’un sentiment d’injustice porté par la question: « pourquoi moi plutôt qu’un autre ? ». Mais étant faits comme les autres, ceux-là qui ont peu de pouvoir n’en ont pas moins de besoins et de désir que les « puissants ».
Il va donc leur falloir trouver des moyens dérivés pour parvenir à leurs fins. Des voies par lesquels ces personnes qui n’ont que trop peu de possibilités de se satisfaire vont pouvoir rétablir une forme d’équilibre, soit intérieur (un vrai équilibre donc, un équilibre objectif), soit vis-à-vis des supposés « puissants » (un semblant d’équilibre, un équilibre relatif – i.e comparé à celui des autres) Et l’un de ces moyens, c’est la violence. Celle-ci agit je crois selon deux axes : d’abord elle peut permettre de prendre le pouvoir, et donc d’atteindre un équilibre objectif, et ensuite, en privant les autres de leurs gratifications, elle réalise une forme de « justice », via un nivellement par le bas. « Je suis malheureux, peut-être, mais les autres aussi. Du coup je me sens mieux. »
On me rétorquera, et avec une certaine raison, que toutes les personnes appartenant aux couches sociales défavorisées n’ont pas recours à la violence. Certes. Mais je répondrai que ce n’est qu’en vertu du fait que le recours à la violence engendrerait pour elles un déséquilibre encore plus fort, né de ce que celui-ci entrera en conflit direct avec leurs valeurs. Mais le jour où le déséquilibre social surpassera le déséquilibre qui naîtrait par la violence, alors ces personnes risquent fort d’avoir recours à la violence (qu’on pense seulement à une personne sans le sou qui en est réduite à voler. Humainement, sommes-nous nombreux à l’en blâmer ? Et pourtant elle use bien d’une méthode violente).
En d’autres termes, la situation d’inhibition de l’action est un facteur qui accroît, et de façon très importante !, le risque d’un recours à la violence, même s’il n’est pas seul à l’expliquer.
Voilà qui éclaire, en tout cas je l’espère, avec quelques précisions l’interrogation de Koz sur son blog. Le problème n’est pas tant la peur de l’inéluctable que la difficulté pour certaines catégories de personnes de satisfaire, comme le font tous les autres, leurs besoins et leurs envies. Koz a en revanche raison lorsqu’il indique que les gens ont probablement le sentiment grandissant de n’être plus que des pions dont certains usent à leur guise, et qui n’ont plus véritablement voie au chapitre.
Et on comprend aisément que la mondialisation accroît encore cette crainte. Dans un pays de 60 millions de personnes, nombreux sont déjà ceux qui estiment que leur voix ne compte pas, qu’ils ne peuvent rien changer au cours des choses (pour ma part je reste toujours sidéré du pourcentage d’abstention lors des élections, quelles qu’elles soient), alors dans un monde de 6,5 milliards d’individus… Le sentiment de dilution est immense, et avec lui, la perception d’une inhibition de l’action, d’une impossibilité d’agir et de s’exprimer autrement que vers des murs.
Je crois que c’est ce point qui constitue le principal défi et le principal intérêt de la décentralisation. En permettant aux personnes de retrouver une voix et un impact au niveau local on peut leur redonner le goût d’agir. Pour cela, il faut d’abord que la décentralisation soit réelle et que les décisions locales portent sur des points importants, soient véritablement relayées aux niveaux supérieurs, mais aussi que les mécanismes décisionnels soient plus transparents et mieux connus pour que l’on puisse sentir l’impact complet des mesures adoptées localement, et qu’on comprenne dans quel mouvement elles s’inscrivent.
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18/04/2006
Pause du langage
Il y a déjà quelques mois, Damien a produit une note très intéressante évoquant certaines pistes envisageables pour réinstaurer une situation sociale qui nous garderait de revivre les évènement de l'automne dernier dans nos chères banlieues. Au-delà des constats habituels il était effectivement bon de se pencher sur le fond des choses et de proposer une analyse précise et des solutions concrètes au problème posé.
D'autant que l'on a vu à l'occasion des manifestations contre le CPE les mêmes individus reproduire exactement les mêmes comportements, toujours aussi effrayants. La casse pour la casse, la bagarre pour la bagarre, bref la logique de chaos total à l'oeuvre. Mais ce qui inquiète surtout dans ces évènements, au-delà de leurs conséquences directes, c'est qu'ils laissent d’abord désarmés, parce qu'ils détruisent tous les fondements logiques de nos comportements habituels. On agit presque toujours en vue de quelque chose, pour atteindre un objectif.
La logique de destruction sort de ces schémas, puisque les casseurs ne rapportent aucun gain de leurs casses (si ce n'est à travers quelques vols, certes, mais je ne crois pas que la majorité agissait avec le but final de voler). Ils ont détruit, c'est tout, et personne n'y gagne au final, il n'y a pas de gratification derrière cela. C'est pour cela que cette logique inquiète tant: parce qu'elle est dans le fond parfaitement illogique et déraisonnable. Dès lors que faire pour convaincre ces personnes de changer de comportement puisque précisément elles refusent d'agir de façon raisonnable ? Quelle maîtrise peut-on prétendre avoir sur des personnes aux comportements insensés et imprévisibles?
C’est cette question qu’il faut notamment parvenir à résoudre pour trouver une solution pérenne : qu’est-ce qui peut pousser les gens à agir de telle façon ? Comment faire en sorte que ces causes disparaissent ? Damien dans son billet, abordait notamment, au milieu d’autres propositions concrètes, une idée que je crois très juste : la solution passera notamment par la maîtrise du langage, qui est une des clés de « l’embourgeoisement des barbares ».
Il doit exister des études qui démontrent une corrélation entre maîtrise du langage et réussite sociale, et sans doute également (et c’est forcément une conséquence) entre non maîtrise et dérive sociale (combien de prisonniers sont illettrés ?). Je n’ai pas encore trouvé de telles études, mais si un lecteur en connaît je suis preneur. Ensuite, il faut bien sûr préciser mieux quels sont les enjeux du langage. Ce ne sera pas encore l’objet de ce billet, mais j’indique tout de même deux idées simples qui sont à mon avis de bonnes pistes de départ :
1. La maîtrise du langage, permet la maîtrise de la pensée. La pensée, c’est le verbe, elle ne peut exister sans celui-ci. Et moins le langage est maîtrisé, plus la pensée est confuse et trouble (et vice versa). Et une pensée confuse entraîne naturellement des comportements confus. Il me semble donc très important de réhabiliter le langage et d’accorder une meilleure place au français dans les écoles, notamment en se fixant des objectifs forts concernant la maîtrise de la lecture et de l’écriture à la sortie de la primaire. Attention, je ne dis surtout pas qu’il faille formater le langage, mais l’acquisition d’un vocabulaire riche et d’une syntaxe propre me semble être des choses importantes (quoi l’orthographe ? hum, oui aussi, mais j’ai bien peur que mes pages n’en soient pas toujours le meilleur exemple…).
2. Le langage pose aussi la question de l’identité. Parce qu’il est un outil qui construit l’identité d’une personne. Mais cette construction de l’identité par le langage présente aussi le risque, simultanément en fait, d’ostraciser et d’exclure. C’est tout le sens du billet que j’avais écrit il y a plusieurs mois au sujet de l’adhésion de la Turquie dans l’UE : plus on définit une identité de manière forte, moins cette identité laisse de place à l’ouverture. Et inversement, plus les limites qui définissent une entité sont floues, « ouvertes » en quelque sorte, moins l’identité de celle-ci est précise et donc moins cette entité est identifiable (la chose a moins d’identité).
On voit bien ce schéma se construire parmi les populations des « jeunes des banlieues ». Ils se sont construit un langage qu’eux seuls pratiquent, par lequel ils se reconnaissent comme appartenant au même groupe, et qui leur permet en même temps de reconnaître ceux qui n’y appartiennent pas. En dehors de la compréhension et de la pratique de ce langage, les personnes sont rejetées. C’est un peu « casse-toi tu pues, t’es pas d’ma bande ». Pour bien s’en apercevoir il suffit d’imaginer quelqu’un utilisant un langage d’aristocrate pour établir le contact avec les autochtones de Bondy. On rigolerait. Mais lui peut-être pas longtemps. (je trace l’idée en gros là).
Le défi est donc ici de trouver comment faire en sorte que le langage ne devienne pas un outil de clivage. Je ne poursuis pas plus sur ce billet. Il faudrait consacrer un travail assez conséquent pour dégager des éléments plus intéressants. Cela demande du temps, et j’espère m’y mettre un de ces jours, mais pas tout de suite.
En effet (et c’est un peu l’explication du titre de ce billet), je risque de consacrer moins de temps à mon blog dans les semaines à venir. D’abord pour des raisons pratiques qui vont m’en éloigner un peu. Mais aussi parce que j’ai un peu besoin de reprendre un second souffle pour produire des choses convenables. Ce que j’ai proposé ici depuis mon dernier billet sur l’aide début mars m’a peu satisfait, voire très peu, et je ne crois pas intelligent de continuer si c’est pour écrire des choses sans intérêt. Personne n’y gagnerait, et vous sans doute encore moins que moi.
A moins qu’une actualité particulière ou une inspiration nouvelle ne me rappelle dans ces parages, je risque donc de me faire plus discret. J’espère toutefois que ça n’éloignera pas tout le monde de ces pages.
Add du 19.04: je suis vraiment un mufle. J'ai complètement oublié de parler du travail engagé par Aymeric sur son blog au sujet de Jean Gagnepain (que je ne connais pas). On lira certainement avec profit sa série de billets sur la linguistique.
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11/04/2006
Réponse à Samantdi: l'authenticité dans la méthode ACP
Samantdi a laissé un commentaire pour le moins dubitatif sous mon dernier billet consacré à l'approche proposée par Carl Rogers dans la relation d'aide. J'ai d'abord commencé une réponse en commentaire, mais, et bien que pour l'instant le billet en question n'a attiré que peu de lecteurs, jugeant que les éléments de ma réponse étaient importants et éclaircissaient une idée que j'ai sans doute présentée de façon trop obscure, je préfère lui consacrer un billet pour leurs donner plus de lisibilité.
Pour bien répondre à Samantdi, il convient d'abord de présenter un peu Carl Rogers. C'est un psychologue américain, du XXè siècle, qui se rendit notamment célèbre dans son domaine par la création de la méthode ACP: Approche Centrée sur la Personne. Cette méthode, et là je reprends la très claire synthèse proposée par Wikipédia (lien ci-dessus), se base sur trois éléments principaux: l'authenticité, par laquelle le thérapeute va se montrer à son patient non pas sous un jour modifié, mais exactement tel qu'il est, l'empathie, et la chaleur, qui permet d'accueillir le patient tel qu'il est lui, sans jugement sur sa personne.
On voit très clairement avec le troisième point de cette méthode, qu’en aucun cas il n’est question d’établir le moindre rapport de supériorité ou de pouvoir avec le patient, ni d’attendre de lui qu’il s’abandonne à son thérapeute. En particulier lors d’une relaxation, à aucun moment la personne qui parle ne tente de prendre le contrôle de la personne à qui elle propose ses services. Bien au contraire, cette démarche repose avant tout sur la liberté de la personne à suivre le chemin qu’elle souhaite, et, si elle le veut, de refuser ce qui lui est proposé.
C’est d’ailleurs le même fonctionnement dans l’hypnose. Tous les hypnotiseurs vous diront que la vision du gourou qui contrôle les personnes par l’hypnose et leur fait faire ce qu’il veut est un fantasme sans fondement. Si ce qui est demandé à la personne lors de l’hypnose va à l’encontre de ses principes ou de ses valeurs, alors la personne refusera de s’exécuter. Il n’y a donc pas de mantra dans ces démarches, pas de prise de pouvoir, et à tout moment la personne qui les vit reste libre et non soumise.
Mais revenons au premier point de l’approche de Carl Rogers, sur l’authenticité, celui sur lequel j’ai souhaité m’arrêter dans mon précédent billet. J’insiste sur ce point parce que je le trouve extrêmement riche, que j’ai tenté personnellement ce type d’approche avec certaines personnes, et que j’ai alors senti à quel point il permettait une relation d’une sincérité, d’une profondeur et d’une chaleur humaine qu’on expérimente rarement.
L’idée de Rogers donc, est que le thérapeute est d’abord efficace en étant sincère avec son patient. Qu’est-ce que cela signifie au juste ? Simplement qu’il croit que la démarche du thérapeute est d’autant plus bénéfique si celui-ci se comporte comme une personne « réelle », sans fard, sans artifice, sans faux-semblants, sans se parer des atours du thérapeute avec justement ce qu’ils peuvent véhiculer de supériorité d’expertise, de maîtrise, etc. Le thérapeute se présente alors devant son patient tel qu’il est, un être humain, semblable, très semblable à son patient.
C’est donc une relation d’égal à égal qui est établie, et de façon extrêmement libre. Le patient ne se sent pas maîtrisé par le thérapeute, mais invité, avec chaleur, avec empathie, à exprimer l’être humain qu’il est, lui aussi sans fard ni faux-semblants. Le thérapeute, par son comportement réel, et en traitant le patient d’égal à égal, offre ici une marche solide sur laquelle ce dernier peut s’appuyer : « je lui suis semblable, et lui s’accepte tel qu’il est, il n’y a donc pas de raison pour que je ne sache faire de même ». Voilà de façon très résumée ce vers quoi tend l’attitude du thérapeute.
Ici il est très possible que mon interprétation des choses soit un peu limitée et partielle, mais voilà comment personnellement je perçois ce message. L’un des premiers problèmes psychologiques à résoudre est l’acceptation de soi. Cela paraîtra sans doute à plusieurs d’entre vous être un de ces principes de psy de comptoir trop rabâché pour être vraiment sérieux. Et pourtant. Il s’en faut de beaucoup.
Lors de la formation que j’ai suivi, nous devions faire cet exercice simple : nous poser devant un grand miroir, dans lequel nous pouvions parfaitement bien nous voir, nous en approcher, et dire la chose suivante : « je t’aime et je t’accepte, tel que tu es, avec tes qualités et avec tes défauts. » Simple non ? Tu parles. Je ne suis jamais parvenu à le faire. Je ne sens rien quand je fais ça, ça ne passe pas. Signe que donc ça ne porte aucun sens ? Je ne crois pas. Je dirais plutôt que c’est le signe qu’il y a encore un chemin long à faire pour parvenir à se dire cela avec une vraie sincérité et en abandonnant ses mécanismes de défense.
A mon sens donc (et ça n’engage ici que moi), l’approche d’authenticité de Carl Rogers dit cela au patient : "Oui, je suis ton thérapeute, oui c’est moi qui dois t’aider à guérir, à surmonter certaines difficultés. Mais moi aussi j’ai des doutes, des failles qui restent ouvertes, des blessures mal refermées, je continue comme toi à affronter des peurs anciennes, à reculer devant des combats que je sais pourtant être nécessaires de mener, j’ai mes reculs, mes oublis coupables, mes évitements, toutes ces batailles qu’il faudra encore mener et qui me laissent parfois les épaules lourdes et le regard gris. Regarde-moi, je suis juste un homme, rien que ça. Mais aussi tout ça. Et c’est ça que je t’invite à être toi aussi, sans crainte vis-à-vis de ce que j’en penserais, car je ne vais pas te juger."
On abouti alors à une relation où l’on a retiré les parasites habituels que nous conservons malheureusement presque tous et presque tout le temps. Il ne reste plus que deux personnes réelles, telles qu’elles sont. Elles ne sont pas nues. Elles sont justes elles-mêmes.
Deux post-scriptum sur ce billet: le premier pour signaler que j'avais déjà évoqué les travaux de Carl Rogers dans l'ancienne série que j'avais consacré à la communication (lien vers le dernier billet de cette série). Le deuxième pour suggérer aux lecteurs qui le souhaitent de (re)découvrir le merveilleux poème de Colette Nyz Mazure copié sur ce blog, au tout début de son existence, qui reprend un peu l'idée personnelle que j'ai tenté d'esquisser ici.
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10/04/2006
La relation d'aide selon Carl Rogers
Je découvre un peu par hasard un texte très intéressant de Carl Rogers repris par l'association Expérience & Partage sur son site. Je conseille de lire l'intégralité du texte, mais pour susciter un peu l'envie, voici l'introduction, qui présente quelques unes des principales questions posées par Carl Rogers pour établir une relation d'aide (on se situe ici dans le cadre d'une aide psychologique).
"J'ai un peu peur de lui, de pénètrer ses pensées qui sont en lui, comme j'ai un peu peur des profondeurs qui sont en moi.
Pourtant, en l'écoutant, je commence à éprouver un certain respect pour lui, à sentir que nous sommes parents.
Je devine combien son univers lui paraît terrifiant, quelle tension il met à essayer de le contrôler.
Je voudrais sentir ses impressions, qu'il sache que je le comprends.
Je voudrais qu'il me sache près de lui, dans son petit univers compact et resséré, capable de regarder cet univers sans trop de frayeur.
Je puis peut-être le lui rendre moins dangereux.
J'aimerais que mes sentiments dans ce rapport avec lui soient aussi clairs et évidents que possible, afin qu'il les reçoive comme une réalité discernable à laquelle il pourra retourner sans cesse.Je voudrais entreprendre avec lui cet effrayant voyage en lui-même, au sein de la peur ancrée en lui, de la haine, de l'amour qu'il n'a jamais réussi à laisser l'envahir.
Je reconnais que c'est un voyage très humain, et imprévisible pour moi, aussi bien que pour lui, et je risque, sans même savoir que j'ai peur, de me rétracter en moi-même devant certains des sentiments qu'il découvre.
Je sais que celà imposera des limites dans ma capacité à l'aider.Je me rends compte que ses propres craintes peuvent par moment l'amener à voir en moi un intrus, indifférent et repoussant, quelqu'un qui ne comprend pas.
Je veux accepter pleinement ses sentiments en lui, tout en espérant que mes propres sentiments éclateront si clairement dans leur réalité qu'avec le temps, il ne pourra manquer de les percevoir.
Et surtout, je veux qu'il rencontre en moi une personne réelle.
Je n'ai pas à me demander avec gêne si mes propres sentiments sont "thérapeutiques".
Ce que je suis et ce que je sens peut parfaitement servir de base à une thérapie, si je sais "être" ce que je suis et ce que je sens, dans mes rapports avec lui de façon limpide.
Alors il arrivera peut-être à être ce qu'il est, ouvertement et sans crainte."
Il y a beaucoup de choses à glaner dans ce texte, qui est d'ailleurs peut-être un peu trop synthétique pour les lecteurs qui ne se sont jamais penchés sur ce type de problématique. Je retiens un point essentiel, qui est à mon sens le fondement de toute relation d'appui psychologique (tant qu'on n'est pas dans un démarche médicale en psychiatrie): on aide l'autre en travaillant sur soi.
Cela signifie que pour parvenir à véritablement aider l'autre, il n'y a rien de mieux que de lui montrer, par l'exemple de soi, la voie qu'il peut suivre. C'est cette phrase qui l'exprime le mieux dans le texte cité plus haut: "Ce que je suis et ce que je sens peut parfaitement servir de base à une thérapie". En effet, si l'on souhaite aider la personne à retrouver un état de sérénité et une bonne solidité psychologique, il n'y a rien de tel que de lui faire sentir ce que sont cette sérénité et cette solidité par son comportement.
Cette idée s'appuie à mon avis sur une observation que l'on peut faire assez souvent dans ses relations avec les autres: on agit toujours plus ou moins comme des miroirs les uns avec les autres. C'est pour cela que nous ne sommes pas tout à fait les mêmes avec notre famille, avec nos amis, avec nos collègues de bureau, etc, et que nous développons souvent des personnalités différentes pour nous adapter aux situations auxquelles nous sommes amenés à nous confronter.
Ce jeu de miroir peut être mis à profit dans le cadre de la relation d'aide, et c'est je crois là-dessus que l'on peut s'appuyer pour mettre en oeuvre ce que suggère ici Carl Rogers. C'est d'ailleurs un peu ce qui se passe lors d'une relaxation. En effet, une grande partie de la relaxation s'appuie sur le comportement de la personne qui parle. C'est sa voix monocorde, son ton chaud, calme et serein, qui est le premier agent de notre détente.
Et bien c'est un peu le même ressort que l'on peut utiliser dans le cadre d'une relation d'aide psychologique. En présentant à l'autre, par son visage, son regard, sa voix, son attitude corporelle, un comportement de sérénité, de solidité et d'attention, on lui ouvre la porte pour que lui-même emprunte le même chemin. En lui montrant ce qu'est ce chemin on l'aide à le suivre car on l'en rapproche.
Il ne s'agit évidemment pas d'imposer à l'autre de suivre les mêmes choix que soi, mais plutôt que celui-ci puisse suivre son propre chemin armé des mêmes atouts que soi. On y parvient notamment en éliminant les gestes parasites qui peuvent laisser croire à une ambiguité de sentiment, à une fausseté de comportement, en restant calme et concentré, sans être pertubateur ni intrusif, et surtout sans adopter une attitude supérieure. On dit beaucoup par ce langage corporel, on offre beaucoup, et l'on est parfois bien plus efficace qu'avec des mots.
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06/04/2006
Les effets de la prière sont impénétrables
Ce soir en ouvrant Le Monde, j'ai voulu lire l'article sur les 15 blogs censés être les plus influents dans la blogosphère française, ou en tout cas parmis les plus lus. Je l'ai parcouru un peu amusé et intrigué de découvrir dans ce grand quotidien un papier qui tente d'analyser le poids que peuvent prendre certains blogs dans les débats actuels. Il y a quelques coquilles dedans (Eolas aurait commencé son blog seulement en avril 2005?) mais bon, c'est sympa.
On y voit des noms attendus, d'autres moins, et puis le papier cherche à définir un peu ce qui fait qu'un blog est considéré comme influent, en récusant la simplicité du nombre de pages lues (ouf j'ai encore une chance alors), et en s'attachant un peu à la qualité et à l'expertise tant du blogueur (mince...) que de ses lecteurs (aaaah :o) ). Mais bon, en fait, je dois vous avouer, que cet article m'a moins intéressé qu'un autre que j'ai trouvé plus insolite !
En effet, celui qui retint le plus mon attention, c'est celui-ci, intitulé: "la prière serait dangereuse pour la santé". Il rapporte une expérience assez cocasse effectuée par seize praticiens dirigés eux-mêmes par deux docteurs, pour évaluer le bénéfice que la prière aurait sur des personnes malades devant subir un pontage coronarien. ll s'agit donc de contrôler expérimentalement si le fait de faire une prière pour une personne mal en point contribue au rétablissement de celle-ci.
Ainsi, trois groupes de malades ont été formés, deux qui ne savaient pas si l'on priait ou non pour eux, et le troisième auquel on avait révélé qu'en sus des soins médicaux, il profiterait d'une mobilisation spécifique auprès du divin. Parmi les deux premiers, l'un bénéficierait toutefois de prières, mais donc, celles-ci seraient faites à l'insu des patients qui le constituaient. Comme on pouvait s'y attendre, les résultats des interventions effectuées sur les deux premiers groupes furent très similaires, d'où il ressortait que la prière n'avait pas d'impact particulier sur le déroulement des choses.
Mais, chose intrigante, il s'avéra que dans le troisième groupe, le taux de complication post-opératoire fut supérieur aux autres, s'élevant à 59% des cas, et que la fréquence des nouveaux infarctus y était aussi plus élevée.
Les auteurs de l'étude avancèrent comme explication que cela provenait probablement du fait que les personnes composant le troisième groupe, ayant été averties que des prières seraient dites pour elles, auraient pu s'en trouver plus stressées en songeant que si des prières étaient dites, c'est que leur état devait être très sérieux. (Où serait-ce que, songeant à l'intervention divine, ces patients se sont vus devoir rendre compte de leurs fautes devant le tribunal du Très Haut ?)
Mais, et là je redeviens sérieux quelques instants, la prière peut également avoir un effet bénéfique sur les personnes, non pas sur celles pour lesquelles on la dit, mais sur celles qui la disent. Elle serait en effet un moyen plutôt efficace pour éloigner les stresseurs en agissant un peu de la même façon que la méditation. Une étude menée en 2000, notamment par l'épidémiologiste David Larson, est ainsi arrivé à la conclusion étonnante que le fait d'avoir la foi et de pratiquer sa religion augmenterait de 29% l'espérance de vie !
L'explication de ce phénomène est en fait assez facile à comprendre. La religion, ou plutôt la foi, si celle-ci est véritablement enracinée chez l'individu (c'est bien l'enracinement de la foi qui constitue le fondement de la religion), est une croyance qui éloigne certaines difficultés, ou tout du moins qui les allège en faisant peser une partie de leur poids sur des épaules divines. Cela contribue donc tout naturellement à un allégement du stress.
Je me souviens, il y a maintenant plusieurs années, j'avais été surpris par un ami alors assez proche, qui étant très croyant, m'avait révélé qu'avant de décider de "sortir" avec celle qui allait plus tard devenir sa femme, il avait ressenti le besoin d'aller prier dans une église, pour demander conseil à Dieu. Sur le moment j'avais trouvé sa démarche surprenante, pour ne pas dire complètement absurde, et je m'étais dit que si son amour était si peu solide qu'il avait besoin de s'en remettre au Seigneur, c'était un bien mauvais signe pour l'avenir de leur couple.
Mais désormais je comprends les choses autrement. Je crois que d'une certaine manière, il a agit de cette façon pour s'enlever le stress qu'il ressentait avant de prendre une décision qui lui paraissait importante. Sans doute était-ce là quelque chose dont il n'avait pas bien conscience, et il a d'ailleurs préféré expliquer ça par la profondeur de sa foi, mais je suis maintenant presque convaincu qu'il s'agissait avant tout pour lui de se libérer d'un poids important, afin d'être d'en de meilleures dispositions au moment d'annoncer sa décision.
Je ne suis toujours pas croyant, mais aujourd'hui je me dis qu'après tout, pourquoi pas? Cela enlève-t-il quelque chose à la sincérité de sa foi? à l'amour qu'il portait à cette fille? Au contraire, il est évident que si ses sentiments n'avaient pas été sincères il n'aurait pas ressenti de stress et il n'aurait pas eu besoin de faire cette démarche. Donc après tout, la prière ne faisant de mal à personne, si elle procure des bienfaits à ceux qui la font, il n'y a là nulle raison de les en blâmer.
Bon, j'hésite un peu quant à la catégorie de ce billet: gestion du stress ou c'est pour de rire ? Hum, c'est pour de rire quand même, parce que se reposer trop sur la prière pour gérer son stress, ce serait moyen.
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05/04/2006
Il n'y a pas de calculatrice pour le stress
C'est étrange, aujourd'hui et d'une façon très soudaine, beaucoup pas mal de plusieurs personnes sont venues sur mon blog, presqu'au même moment, après avoir tapé la requête Google: calculer son stress. Google les a alors renvoyé sur ce billet écrit il y a quelques temps et qui traitait du manque important qu'il y avait dans l'échelle de Holmes et Rahe, celle-là même qui prétendait aider les gens à "calculer" leur stress.
Je ne reviens pas sur ma critique, que je crois toujours fondée, mais je voudrais apporter une petite aide à ces personnes semblant tout à coup perdues (que s'est-il passé pour qu'elles arrivent toutes en même temps ici?).
Accoler un chiffre à côté de la notion de stress est dans le fond absurde et un peu ridicule. On n'est pas dans un concours pour savoir lequel à le plus gros stress, et toute méthode qui prétendrait mesurer ceci me semble d'emblée devoir être rejettée, parce qu'elle fausserait complètement la vision des personnes et les empêcherait très probablement de prendre les bonnes décisions pour remédier à leurs problèmes.
Le stress est protéiforme, il change d'une personne à l'autre, d'un environnement à un autre, d'une époque à une autre, etc. Bref on ne peut pas le saisir en mesurant des points sur une échelle, et surtout, surtout, même si l'on parvenait à le mesurer, la vérité c'est que cela ne servirait à rien. Car la question n'est pas de savoir quel est notre niveau de stress, mais comment nous le gérons, ce que nous en faisons. Certaines personnes gèrent moins bien un niveau de stress faible alors que d'autres, aguérries à un stress chronique, savent mieux le canaliser. Dans le fond, le stress n'est qu'un symptôme, et on ne guérit pas un symptôme, c'est aux causes qu'il faut s'attaquer.
Ces points rapides étant posés, je voudrais tout de même apporter quelques idées pour découvrir son stress et évaluer son impact sur notre comportement, afin de ne pas laisser ces nouveaux lecteurs dans la panade, car je crains pas mal qu'ils se fient trop à l'échelle de Holmes et Rahe vers laquelle Google va très probablement les emmener (quoique, pas en première page apparemment). Si vous souhaitez faire le point sur votre stress, prenez le temps de vous arrêter sur quelques éléments centraux:
- Vos relations avec les autres: sont-elles satisfaisantes? Consomment-elles votre énergie ou au contraire vous en donnent-elles?
- Votre forme générale: Où en êtes-vous de votre fatigue? de votre alimentation?
- Votre comportement: Vous sentez-vous nerveux(se)? Neurasthénique? Hypocondriaque? Voyez-vous les choses en noir ou en rose?
- Vos projets, vos loisirs: trouvez-vous du temps à y consacrer? Parvenez-vous à prendre du temps pour vous-même? Pour lire ce qui vous plaît? Avez-vous découvert toutes les archives du piki-blog ?
- etc.
Autant de questions essentielles qui vous éviteront de prendre de fausses routes aux allures de pain béni.
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02/04/2006
La logique du pire
Ce billet a failli s’intituler « Le CPE est mort, et pourtant la lutte continue ! », pour rendre compte de la double impression étrange que j’ai ressenti vendredi soir en entendant la déclaration de Chirac. Sans doute l’écho que rendait le son élyséen dans les premières minutes de l’allocution de notre président était-il le présage de cette confusion émotionnelle, confusion qui n’a fait que se renforcer lorsque l’on entendit les premières réactions syndicales et que l’on vit la défilé des jeunes commencer dans les rues parisiennes.
Car, comme Koz hier, il me semble vraiment qu’on a assisté vendredi soir à la mort du CPE. En entendant Chirac évoquer les modifications qu’il souhaitait voir porter à l’article 8 de la loi sur l’égalité des chances, la durée de consolidation ramenée à 1 an, et le motif du licenciement indiqué à l’employé, j’ai d’abord fais un bond de joie chez moi et esquisser un large sourire. Ca y était, Chirac donnait le dernier coup de canif dans un texte qui, à la lecture de la décision du conseil constitutionnel rendue la veille, m’avait déjà semblé affaiblit.
En effet, le CC indiquait clairement dans son considérant n° 25 que dans le cas éventuel d’un contentieux il appartiendrait à l’employeur de présenter les motifs du licenciement opéré. Il écrivait sur ce point :
« il appartiendra à l'employeur, en cas de recours, d'indiquer les motifs de cette rupture afin de permettre au juge de vérifier qu'ils sont licites et de sanctionner un éventuel abus de droit ; qu'il appartiendra notamment au juge de vérifier que le motif de la rupture n'est pas discriminatoire et qu'il ne porte pas atteinte à la protection prévue par le code du travail pour les femmes enceintes, les accidentés du travail et les salariés protégés »
A la lecture, il m’avait semblé qu’on avait là un point qui clarifiait très sûrement ce que plusieurs commentateurs juridiques avaient déjà soulevé sur leurs blogs respectifs, et qui affaiblissait considérablement l’un des intérêts que les défenseurs du CPE mettaient en avant.
La déclaration de Chirac qui enfonçait le clou en demandant que l’explication du motif soit donnée lors de la procédure de licenciement à l’employé, et qui réduisait la durée de consolidation, tout cela assorti en plus d’une période de suspension, m’apparaissait donc clairement être un enterrement, même si celui-ci ne disait pas son nom.
Mais rapidement j’ai déchanté. Je me suis demandé quelle allait être la réaction des différents syndicats et des jeunes qui manifestaient depuis des semaines. Allaient-ils saisir le coup porté au texte qu’ils honnissent ? Dans les premières secondes je les imaginais sabrer le champagne place de la Bastille. Mais j’ai vite pressenti que l’on serait loin du compte. Non, ils n’allaient pas être satisfaits. Ce serait même tout le contraire. Et les premières déclarations que j’ai entendues ont confirmé ce mauvais pressentiment.
Bruno Julliard, président de l’UNEF, puis Bernard Thibaut, secrétaire général de la CGT, déclaraient tour à tour leur indignation face à la déclaration de Chirac et leur intention de reconduire leur mouvement de protestation tant que le CPE ne sera pas purement abrogé. Je n’ai pas écouté la suite. La cause était entendue, et les jeux faits. En dépit du coup porté au texte, rien n’avait vraiment changé dans l’esprit des anti-CPE, et le conflit allait perdurer.
C’est à ce moment là que j’ai vraiment mesuré toute l’étendue de l’incompréhension qu’il y a entre le gouvernement actuel, et les protestataires. Leur dialogue de sourds en arrive à un point d’une redoutable absurdité, où la raison semble avoir définitivement quitté les protagonistes, et ici il faut le reconnaître, plus les anti-CPE que les autres.
Je crois en effet que ces derniers se sont piégés à cause de leur réaction initiale. Celle-ci était largement inspirée par le mépris affiché au début de cette affaire par de Villepin pour le débat avec les partenaires sociaux. Puisqu’il méprisait, il fallait pensait-on opposer un positionnement absolument intransigeant, qui établisse un rapport de force du même niveau que le mépris dénoncé. Et pour ce faire, il fallait un slogan simple, marquant, assorti à une intransigeance forte quant à la satisfaction de la revendication qu’il exprimait. Ce slogan ce fut : « retrait du CPE », et l’intransigeance c’était que rien ne serait possible sans ce retrait, et que cette fois-ci il n’y aurait pas de recul sur cette requête.
Dès que ce slogan était exprimé avec cette intransigeance quant à sa satisfaction, le piège était refermé, et il n’était plus possible de sortir de l’ornière. Parce qu’il était évident que le gouvernement n’allait pas faire marche arrière au point de supprimer totalement une mesure phare de son dispositif pour l’emploi. C’aurait été un reniement trop fort de son action, une humiliation insupportable, qui eût probablement été assimilée à un suicide politique.
Chaque camp s’est ainsi retrouvé dans l’impossibilité, qu’il avait construite lui-même !, de faire un pas véritablement constructif pour faire avancer le débat. Le gouvernement ne pouvait pas retirer son texte, les manifestants ne pouvaient plus faire marche arrière sur leur revendication : eux aussi se seraient reniés et décrédibilisés de façon bien trop forte pour que ça leur soit supportable.
On est très clairement ici dans un exemple remarquable d’orgueil poussé à la limite de la logique du déni. Impossible de faire marche arrière car ce serait un bouleversement trop important de l’équilibre psychologique que l’on a créé. Si le gouvernement recule et abroge son texte il reconnaît son incompétence et met sa maison en danger à l’approche d’échéances capitales. Si les protestataires acceptent de négocier ils prouvent que leur démarche jusqu’ici était mauvaise. Et ils en ont tant fait qu’ils auraient bien trop à se faire pardonner ! Cette situation serait insupportable psychologiquement, et la seule solution qui leur reste est donc de poursuivre, en montrant par une certaine logique du pire que puisqu’ils continuent, c’est bien qu’ils avaient raison avant.
C’est pour cela qu’il leur en fallait en fait très peu pour que l’on assiste à cela. Quoi qu’eût dit Chirac vendredi soir, à partir du moment où il annonçait une promulgation de la loi, la réaction des anti-CPE était jouée d’avance. Parce qu’ils s’étaient inscrits dans une logique qui les empêchaient de faire autrement.
Pourtant aujourd’hui, il va bien falloir en sortir de cette crise, parvenir à renouer le fil d’un dialogue qui, s’il n’est pas évident à établir avec un premier ministre autiste, n’en reste pas moins indispensable. Alors qu’elles sont les solutions pour en sortir ? Et bien franchement sur ce point je ne suis guère optimiste, et je crois que les prochains jours ne montreront pas d’amélioration, mais plutôt une dégradation.
Car pour sortir d’un processus de piège d’orgueil, ce qui fonctionne le plus souvent c’est l’excès de trop. C’est ce que l’on voit dans l’expérience de Stanley Milgram que j’ai déjà rapportée : à la fin du processus au cours duquel l’individu testé inflige des décharges de plus en plus fortes à un inconnu, ce qui fait qu’il cesse enfin cette torture stupide est la douleur excessive de l’acteur-supplicié, douleur dont le spectacle devient enfin plus insupportable au testé que la reconnaissance de sa faute.
J’espère me tromper, mais j’ai peur que l’on soit dans la même mécanique ici. Les syndicats ont déjà indiqué qu’ils ne voulaient pas négocier tant que le CPE ne serait pas retiré. Et le gouvernement ne s’est pas vu donné la mission de le faire. S’il n’y a pas de dialogue instauré, j’ai peur qu’un seul un excès de trop, un dérapage malheureux, ne soit l’alibi du nécessaire assouplissement du mouvement actuel. Et l’on constatera une nouvelle fois, trop tard et tristement, que l’orgueil est bien le pire et le plus sûr ennemi de la raison.
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