12/09/2006
Servomécanisme et écologie
Lorsqu’on évoque aujourd’hui les grands défis à relever lors du prochain quinquennat et les questions les plus importantes sur lesquelles les différents candidats, déclarés ou non, doivent répondre, je suis frappé d’observer à quel point les questions d’écologie restent encore largement déconsidérées. Tout juste semblent-elles parfois faire l’objet d’un positionnement de posture pour que l’un ou l’autre puisse donner un vernis humaniste à son image. Mais aucun candidat majeur de la prochaine échéance électorale n’a encore abordé de façon sérieuse ces sujets.
On remarquera d’ailleurs, que cette absence ne fait guère l’objet de réaction de la part de la population. Elle n’est remarquée ni chez les journalistes, ni chez les blogueurs, les seules maigres agitations sur cette thématique étant de savoir qui de Nicolas Hulot, José Bové ou Dominique Voynet est le plus légitime pour se présenter en 2007 sous la bannière écolo. Il est à mon sens particulièrement frappant que des questions aussi décisives, et dont la résolution devient de plus en plus urgente, restent à ce point en périphérie du débat public. Et il n’est sans doute pas inutile de rechercher les sources de cette négligence, qui devient toujours plus coupable avec le temps.
Tout d’abord, et ce n’est pas là un bien haut niveau d’analyse, il est évident que la très forte personnification du débat joue un rôle important dans ce processus. Ce qui compte le plus, et qui aliment la majeure partie des articles de journaux et des discussions de comptoir ce n’est pas quoi ou comment, mais qui. Sarkozy ici, Ségolène, là, Jospin encore là, Villepin, etc. La campagne ne s’annonce pas comme un grand débat d’idée mais comme un débat de nom et de personnalités. Sans doute cela n’a-t-il rien de très nouveau, mais j’ai le sentiment que cette orientation s’accentue progressivement avec les années, et qu’elle va connaître un point particulièrement culminant lors de la prochaine présidentielle.
D’ailleurs l’accumulation, qui frise désormais l’absurde, des sondages pour savoir quel nom est en tête, est une bonne indication de cette tendance. C’est exactement là qu’est la source du syndrome du surfeur d’argent. Ce que nous cherchons ce n’est pas une solution à nos problèmes, c’est un champion dont nous ayons une bonne image et qui nous renvoie, dans un subtil jeu de miroir, une bonne représentation de nous-même. Nous voulons un héros sur lequel tout reposer, une sorte de totem autour duquel nous pourrons faire notre catharsis sociale et repartir de zéro.
Mais on m’objectera avec justesse que ce phénomène ne touche pas plus les questions d’écologie que les autres. Que l’appauvrissement qu’il entraîne concerne toutes les composantes du débat, et que cette première remarque ne saurait donc rendre compte des raisons spécifiques qui relèguent l’écologie à l’arrière-plan des palabres politiques. On aura raison. Il faut chercher ailleurs les sources de cet étrange et paradoxal désintéressement.
Or, on trouve chez Laborit une idée très intéressante pour expliquer ce comportement. J’avais indiqué en introduction de cette série, que la démarche de Laborit dans ses recherches présentait ceci d’intéressant qu’il tentait le plus possible d’analyser les choses de façon pluridisciplinaire. Qu’il appréhendait ses travaux depuis différents points de vue pour parvenir, dans la mesure du possible à une compréhension globale des phénomènes sur lesquels ils se penchaient. C’est ainsi que, partant de l’analyse du fonctionnement d’une cellule, il observait comment son fonctionnement normal ou son dysfonctionnement vient modifier le niveau d’organisation qui englobe la cellule, l’organe, puis partant de l’organe il passait à l’organisme, puis partant de l’organisme, et donc de l’individu, il passait à des observations au niveau social.
En matière scientifique, on s’aperçoit effectivement qu’il existe une limite inhérente aux démarches de spécialisations. C’est qu’elles finissent par se stériliser si elles n’intègrent pas dans leurs recherches les liens qui existent entre les différents niveaux d’observations sur lesquelles elles se penchent. Ici je propose un mien exemple avec des vrais bouts d’imprécision scientifique dedans. Imaginons que Newton et un physicien quantique regardent ensemble la pluie tomber. Chacun, étant une sommité dans son domaine, va proposer son analyse du phénomène. Newton va dire en premier que les lois de la physique sont telles qu’il est obligatoire que la pluie tombe, c’est-à-dire que l’eau en provenance des nuages suive un trajet de bas en haut, puisque cette eau est, comme tous les autres corps sur la planète, attirée vers le sol par la force d’attraction. Mais le physicien quantique rétorquera immédiatement qu’il reste pourtant parfaitement impossible de décrire le trajet effectué par la pluie, et qu’en réalité si l’on cherche à suivre une goutte et à prédire sa trajectoire, cela sera impossible. Et bien tous les deux ont raison. On pourrait simplement synthétiser leurs observations en disant que globalement, il est tout à fait raisonnable de dire que la pluie va tomber et non pas monter au ciel, mais qu’en revanche on sera incapable de décrire par quelles détours chaque goutte de pluie va passer avant de se retrouver au sol. Et ainsi, on comprend que leurs observations sont complémentaires, et que c’est leur réconciliation qui peut le mieux rendre compte de la réalité du phénomène observé.
Laborit fait la même remarque en biologie. Il existe différents niveaux d’organisation du vivant, qui font tous l’objet d’une spécialisation scientifique. Au niveau de l’atome on trouvera le chimiste, au niveau organique le physiologiste, puis le psychologue au niveau de l’individu, le sociologue au niveau de la société, etc. Mais ce que montre Laborit donc, c’est qu’on ne peut pas bien comprendre un niveau d’organisation si on l’envisage de façon autarcique, sans prendre en compte ce qui le lie aux autres niveaux d’organisation, et notamment aux niveaux d’organisation supérieurs, car ce sont ceux-là qui contiennent en quelque sorte la commande qui dirige l’organisation du niveau inférieur.
L’électron va quitter ou rejoindre l’atome pour maintenir sa structure, l’atome maintient ainsi sa polarité pour maintenir celle de la membrane cellulaire qu’il participe à constituer, la cellule maintient sa structure ainsi pour être efficace dans l’organe dont elle fait partie, l’organe effectue les opérations nécessaires à l’activité normale et saine du corps et de l’individu, et l’individu agit conformément à ce qui est nécessaire à sa survie au sein de la société, sans troubler le cours de celle-ci. Si l’on ne comprend pas cette interdépendance des niveaux d’organisation on a une image très imparfaite du vrai rôle que chacun remplit.
Mais surtout, on s’aperçoit ici que chaque niveau d’organisation ne pourrait rien faire s’il n’était pas commandé par le niveau qui l’englobe et qui le régule. Le fonctionnement des atomes dépend de celui des cellules, celui des cellules de celui des organes, et ainsi de suite. Le mécanisme qui lie deux niveaux d’organisation entre eux par l’action d’un régulateur, Laborit la nomme servomécanisme. Je crois qu’on peut simplifier cela en disant qu’il s’agit ici de la pression de nécessité dans laquelle le niveau d’organisation supérieur enferme le niveau inférieur, exigeant, si l’on peut dire, de lui, qu’il effectue telle chose et pas telle autre.
Ces considérations seront peut-être apparues un peu longues à certains, mais elles me semblent indispensables pour bien comprendre la suite. Revenons donc maintenant à notre sujet de départ. Chaque niveau d’organisation donc, agit conformément à ce qui est nécessaire pour le niveau d’organisation supérieur, la commande de son activité venant de ce niveau supérieur. Ceci est vrai au niveau microscopique, et le reste au niveau macroscopique. En d’autres termes, l’organisation animale répond aujourd’hui à la commande contenue dans le niveau d’organisation qui lui est supérieure, à savoir la biosphère.
Mais l’homme, individu formidablement plus développé et abouti que toutes les autres formes vivantes sur notre planète, en particulier du point de vue neuronal, a perdu la notion de ce servomécanisme. Le fait d’être situé tout en haut de la chaîne de l’évolution lui a fait perdre de vue le fait qu’il n’en restait pas moins inclus dans la biosphère. Du fait de l'activité de son cortex, il s’est mis à se construire des règles, toutes issues du travail de son cortex, et qui l’ont détaché de la servitude naturelle à laquelle le reste du vivant est soumis : la religion, l’art, les idéologies, la morale, etc. Et ce faisant, il a oublié que, si ces nouvelles règles qu’il créait et qu’il s’imposait pouvaient avoir quelque pertinence, il n’en restait pas moins inclus dans la biosphère, qui a elle aussi ses règles. En gros, nous percevant comme un aboutissement ultime, nous ne nous envisageons pas comme pouvant être inclus par un autre niveau d’organisation qui nous serait supérieur et qui nous commanderait.
Dés lors dit Laborit, pas étonnant que nous n’ayons pas géré les biens naturels à notre disposition. La structure dans laquelle nous nous situons nous échappant, nous n’avons pas conscience, ou tout de moins de façon encore trop imparfaite, des nécessités qui existent au niveau de la biosphère. Nous ne sommes pas encore parvenu de façon satisfaisante à transformer nos constructions sociales de sorte qu’elles recréent un servomécanisme qui nous permettent de mieux prendre en compte notre place dans cette biosphère.
Alors comment recréer ce servomécanisme, ce lien avec notre environnement ? Je crois que là aussi, c’est une question de proximité. Les personnes se penchent en priorité sur ce qu’elles ont sous le nez. Ce qu’elles ne voient pas, ça n’existe pas puisque ça n’entre pas dans le champs environnemental (pris au sens global cette fois-ci) qui les impacte directement. Ce n’est pas surprenant que la majorité des astronomes, lorsqu’ils reviennent sur Terre raconter leur expérience, parlent très souvent d’écologie. Ils ont vu la Terre eux, pas nous, nous n’en voyons que des fragments, et ne l’envisageons pas comme un tout. Eux si, et ils ont pu ainsi sentir cette fragilité, née de l’interdépendance qu’entretient chaque zone géographique avec les autres du point de vue climatique, biologique, politique même.
Ainsi donc, il me semble que l'écologie ne pourra trouver la place qui doit être la sienne dans les débats que si l’on parvient à réintroduire cette proximité, qui, si elle est difficilement palpable, n’en est pas moins très réelle et impacte chaque individu. Recréer de la proximité avec notre environnement social, et avec notre environnement naturel, ça pourrait faire un joli programme politique non ?
18:35 Publié dans Un peu d'analyse comportementale | Lien permanent | Commentaires (7) | Facebook |
11/09/2006
Mémoire douloureuse
Samantdi a laissé un poème à la fin de son dernier commentaire. J'aime beaucoup et vous le propose donc en billet.
C'est un poème d'Yves Bonnefoy (que je découvre), extrait de La maison natale, qui fait partie du recueil Les planches courbes (si je ne me trompe pas, et Google non plus).
Je suis saisi par ces douleurs qui cognent
Aux chambranles qui se délabrent, je me hâte,
Trop lourde m'est la nuit qui dure, j'entre effrayé
Dans une salle encombrée de pupitres,
Vois, me dit-on, ce fut ta salle de classe,
Vois sur les murs tes premières images,
Vois, c'est l'arbre, vois, là, c'est le chien qui jappe,
Et cette carte de géographie sur la paroi
Jaune, ce décolorement des noms et des formes,
Ce dessaisissement des montagnes, des fleuves,
Par la blancheur qui transit le langage,
Vois ce fut ton seul livre.
11:05 Publié dans Un peu de poésie | Lien permanent | Commentaires (1) | Facebook |
08/09/2006
Première critique envers Laborit: retour sur la dominance et la gratification
Je voudrais aujourd’hui proposer une critique au billet que j’ai posté mardi sur le naturel et la mémoire. Dans ce billet, on a pu entrevoir que Laborit attribuait une grande importance aux stratégies de dominance dans nos comportements. Dans les processus de réenforcément (c’est-à-dire la répétition d’actions spécifiques) nous dit-il, nous cherchons en premier ressort à établir notre dominance sur notre environnement (géographique et social) afin de nous donner la meilleure garantie d’obtenir nos gratifications. De cette observation, Laborit tire une analyse générale sur la construction de hiérarchie à laquelle la plupart des sociétés modernes ont aboutis.
Pour reprendre, rapidement, son idée, des individus se trouvant sur le même territoire, territoire qui contient un certains nombres de gratifications, vont s’affronter pour l’obtention de celles-ci, guidés qu’ils sont par le maintien de leur homéostasie, ou, dirait Freud, par leur principe de plaisir. Cet affrontement va résulter en l’établissement de dominances entre les uns et les autres, déterminant ainsi la quantité de gratifications que chacun va effectivement pouvoir obtenir. C’est ainsi que Laborit affirme que la notion de propriété (et non pas l’instinct de propriété, celui-ci n’existant pas puisque la notion de propriété est une chose apprise et nullement innée) est à la source de la guerre.
Mais donc, je voudrais proposer une critique de la vision de la dominance selon Laborit. Car à la lecture, qui reste forcément partielle, de ses travaux, il me semble qu’il envisage les notions de dominance et de gratification de façon trop monolithique. Il raisonne en effet en glissant à mon avis trop facilement du concept général, à son application concrète dans la vie de tous les jours. Et ainsi, d’une analyse globale, il passe à l’observations de comportements spécifiques, sans pour autant intégrer les circonstances et les contingences qui les entourent.
Je m’explique.
Lorsque Laborit explique les comportements de réenforcement, qui sont donc directement orientés vers la recherche de gratifications, il utilise ce terme de gratification sans aucune nuance, sans vraiment poser la question de ce qui constitue une gratification. On comprend bien que pour ce qui est des besoins fondamentaux (manger, boire, dormir, se reproduire), il n’y a pas vraiment place à la confusion les concernant. On mange afin de combler un déséquilibre dont notre corps nous a informé lorsque nous avions faim. Notre appétit comblé, nous avons retrouvé notre homéostasie.
Mais il n’est pas besoin de beaucoup réfléchir pour comprendre qu’en dehors de ces besoins fondamentaux, on trouvera sous ce seul mot de gratification, des éléments très variés, et dont certains même pourraient nous sembler parfaitement opposés. On m’excusera, je l’espère, d’illustrer ce propos avec un exemple classé X, mais il me semble vraiment bon, donc je n’hésite pas plus.
Lorsque deux personnes cherchent à satisfaire leurs désirs sexuels, elles peuvent tout à fait, alors qu’elles recherchent toutes les deux une même chose, le plaisir, envisager des moyens opposés pour obtenir celui-ci. C’est ainsi que dans les pratiques sado-masochistes, certains vont préférer occuper la place du maître-bourreau, alors que les autres vont préférer jouer le rôle de la victime soumise. Et d’ailleurs dans ce cas, leurs "stratégies" pour obtenir le plaisir sont tout à fait complémentaires, puisque l’un va avoir besoin de l’autre pour se satisfaire. Leur recherche de plaisir, loin d’aboutir à une confrontation, si ce n’est celle des chairs, passe au contraire par une forme de collaboration.
Ainsi, si le principe de plaisir est effectivement le même pour chacun de nous, il s’en faut de loin que nous ayons tous une vision identiques des moyens qui permettent de l’atteindre. Nous voyons bien ici, que le schéma de deux personnes s’affrontant pour obtenir la même gratification est trop simpliste, puisque les personnes ne seront pas toujours au même moment à la recherche des mêmes gratifications, et qu’il ne saurait donc en résulter de façon systématique un affrontement.
D’ailleurs, on entrevoit déjà avec mon exemple l’autre flanc de ma critique. Car Laborit est trop restrictif lorsqu’il envisage la dominance comme la principale stratégie pour obtenir nos gratifications. On l’a vu dans le cas d’une relation sexuelle sado-masochiste, les partenaires entrent dans une relation de collaboration afin de satisfaire l’un et l’autre leur désir. On pourrait dire qu’ils passent un accord pour que l’un donne à l’autre ce qu’il désire, en échange du plaisir qu’il recevra en retour.
En gros, ils négocient. Voilà un aspect oublié par Laborit dans son analyse. Au-delà de la stratégie de dominance, qui reste une attitude assez primitive, les hommes ont su trouver d’autres méthodes pour satisfaire leurs besoins et se faire plaisir. Petit à petit, au fil des siècles, ils ont mis en place des structures qui encadrent leurs activités, et ils ont trouvé des modes de fonctionnement qui répondent de façon efficaces à leurs attentes. Bref, ils se sont mis à négocier, et à collaborer.
Je sais qu’il existe déjà une littérature fournie sur ce sujet, les économistes qui me lisent peut-être ont déjà de multiples exemples en tête pour illustrer ceci. Mais je voudrais tout de même proposer mon petit exemple, parce qu’il me plaît (vous pouvez tout de même sauter la suite de ce paragraphe, et le suivant, si vous le souhaitez). Imaginons deux gamins un peu filous qui veulent aller profiter du pommier du voisin Alfred pendant que celui-ci s’est absenté. Il leur faut pour cela passer au-dessus du mur de clôture de la maison d’Alfred, mais tous les deux sont trop petits pour y arriver seuls. Toutefois, ils peuvent le faire s’ils se font la courte échelle.
Victor et Michel passent alors un deal, c’est Victor qui soulèvera Michel à l’aller, et Michel qui soulèvera Victor au retour. Evidemment on se dit que Michel pourrait tout à fait, une fois qu’il est sur le mur, décider de ne pas aider Victor à le rejoindre, et ainsi profiter de toutes les pommes pour lui tout seul. Mais ce serait en vérité un bien mauvais calcul, car alors il se priverait très probablement de la possibilité de rééditer ceci une prochaine fois, Victor n’acceptant pas de se faire pigeonner à deux reprises. Mais surtout, il serait bien en mal de revenir chez lui puisqu’il serait toujours incapable de franchir le mur au retour et se retrouverait ainsi piégé. On voit bien ici que les deux galopins vont devoir négocier et se mettre d’accord pour arriver à leurs fins. S’ils s’affrontent au contraire, cela résultera en une perte pour les deux.
Les économistes, s’il y en a qui me lisent, trouveront tout cela particulièrement évidemment. On ne fait en effet ici que redécouvrir la théorie des jeux, et, si je ne me trompe pas, en particulier celle des jeux à somme nulle (comme le dilemme du prisonnier). Cette théorie montre bien qu’il existe d’autres stratégies que la dominance pour arriver à ses fins, et que celle-ci ne saurait donc pas être envisagée comme la seule permettant de répéter nos actions gratifiantes. En fait, il n’est pas interdit de penser que dans tous les cas où les gratifications seront suffisamment nombreuses pour tout le monde, on aura plus intérêt à établir des stratégies de collaboration que de dominance pour les obtenir.
Mais il faudra que je revienne sur ce point dans un autre billet, pour cette fois-ci apporter un élément de soutien à Laborit.
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One Big Crunch? One Big Rush !
La théorie du Big Bang est complétée par certains scientifiques par une théorie inverse, qui voudrait qu’après avoir atteint la limite de sa capacité d’expansion, l’univers se mette à opérer le mouvement inverse en se contractant sur lui-même progressivement, jusqu’à revenir au néant initial d’où il a émergé. On appelle cela la théorie du Big Crunch. Le Big Crunch en gros, c’est donc la mort du Big Bang, la fin des haricots, la Grosse Katastrophe.
Or il semble aujourd’hui que cette théorie du Big Crunch affecte jusqu’aux sphères les plus personnelles de nos dérisoires activités humaines. Car voyez-vous, le Big Crunch, y’a des blogs qui en causent. En effet depuis quelques jours déjà, on découvre dans la blogosphère un débat étonnant au sujet des blogueurs qui ont été invités à l’université d’été de l’UMP. Plusieurs billets critiques ont été écrit au sujet du contenu produit par ces blogueurs lors de l’évènement, mais c’est uniquement de celui de Daniel Schneiderman dont je souhaiterais parler ici (d'autres l'ont déjà fait de façon très critique), parce qu’il me semble montrer une conception du Big Bang qui n’est pas celle généralement admise dans les milieux scientifiques bloguiens.
Daniel Schneiderman écrit dans son billet que le résultat du travail des blogueurs lors de cette université est de nature à remettre en cause le Big Bang qu’il attendait visiblement de la montée en puissance des blogs dans le débat public. Je suis un peu d’accord avec lui sur la qualité de ce qui a été écrit, même si quelques bons billets sortent du lot, mais malgré tout je reste surpris par sa réaction. L’idée qu’il montre de la révolution que les blogs devraient selon lui apporter m’étonne surtout par deux aspects.
Le premier, c’est que je ne comprends pas la critique que Daniel Schneiderman fait du contenu des billets postés par les blogueurs invités lors de cette université d’été. Qu’on espère un minimum de fond et pas seulement des impressions touristiques, je veux bien. Mais qu’on exige que les blogueurs révolutionnent à eux seuls l’art de l’interview et de la critique politique, voilà qui me paraît bien extraordinaire, surtout pour un journaliste professionnel.
Car quoi, quelle cohérence y a-t-il à réclamer que les blogueurs produisent un meilleur contenu que les journalistes ? Pourquoi serait-ce à eux, non professionnels et reconnus comme tels (souvent, ils ne s’en cachent pas), de venir bouleverser le monde des médias traditionnels et de lui fixer ses nouvelles règles ? Daniel Schneiderman semble attendre ici des blogueurs qu’ils changent eux-mêmes ce qui ne dépend pourtant que des seuls journalistes. Pas étonnant qu’à l’arrivée il soit déçu.
Qu’on me comprenne bien, je ne veux pas dire ici qu’il est déraisonnable d’attendre un contenu de qualité de la part des blogueurs. Mais simplement que si révolution du journalisme il doit y avoir, les premiers à devoir y mettre la main à la pâte, ce sont les journalistes eux-mêmes. Qu’ils attendent que le signal leur soit envoyé par des gens extérieurs à leur métier me semble parfaitement irresponsable. Il y a d’ailleurs quelque chose d’étrange à espérer que les blogs apportent forcément un contenu plus riche que les médias traditionnels. Certes il existe des blogueurs dont les compétences dépassent celles du vulgum blogum moyen. Mais, comme dans les médias traditionnels, à part quelques notables exceptions, ceux-là ne sont pas toujours les plus lus. Dans les journaux aussi il existe des spécialistes pointus dans tel ou tel domaine. Mais ce ne sont pas leurs articles qui font le plus parler d’eux. C’est pareil sur les blogs. L’outil ne fait pas le moine, et il est étrange d’avoir espérer qu’il le fasse.
Mon deuxième étonnement, c’est que justement, je n’ai pas du tout la même conception du changement que peuvent apporter les blogs dans le débat, du « Big Bang » qu’ils peuvent créer. Ma vision se rapproche beaucoup (enfin je crois) de celle que j’ai entendu ou lu chez versac. Les blogs qui participent au débat public présentent, avant toute autre chose, l’intérêt de modifier le rapport qu’entretiennent les gens avec l’information et l’actualité. Ils sont un outil nouveau qui permet de réagir, d’échanger, d’enrichir plus avant les informations brutes que diffusent les grands médias, en profitant de la construction en réseau qu’ils favorisent. Bref de devenir un peu plus acteur ou participant de ce qui se passe, et éventuellement force de proposition, et de ne plus subir autant qu’avant les nouvelles qui tombent.
Cette modification a ou peut avoir (les choses vont lentement dans ce domaine) des conséquences plus profondes encore. Les gens qui discutent sur les blogs de la chose publique relaient leurs informations et leurs échanges hors du cadre d’Internet. Même ceux qui ne font que commenter en parlent autour d’eux, se montrent plus intéressés, justement parce qu’ils se sentent « faire partie » de ce qui se passe. C’est cette expansion là de l’échange public qui constitue à mon sens le véritable apport des blogs aujourd’hui. On la voit d’ailleurs dans la création de certains collectifs, et il y a de bonnes chances que d’autres se créent dans les mois qui viennent.
Alors bien sûr, au milieu de cette expansion on trouvera quelques pépites qui apporteront un contenu beaucoup plus riche que les autres, mais comme c’est la règle pour toutes les pépites, elles seront rares. Et ce n’est donc pas vraiment d’elles qu’il faut attendre la révolution. Il en va ici de même pour les blogueurs que pour les journalistes professionnels. D’ailleurs il me semble erroné d’attendre une quelconque forme de Big Bang en la matière. L’évolution qui peut résulter de la montée en puissance des blogs ne peut qu’être progressive, assez lente, notamment du fait que celle-ci reste encore très peu organisée, et qu’elle n’est que le résultat du travail irrégulier et bénévole de ceux qui tiennent un blog. Schneiderman se précipite donc un peu dans ses attentes vis-à-vis des blogs, il est un peu dans une logique de Big Rush, qui n’avait à mon avis dés le départ aucune chance d’avoir lieu. Peut-être constaterons-nous un jour qu’ils auront eu un apport décisif dans le débat public. Mais pour que cela soit une influence pérenne, il faudra encore à mon avis attendre quelques temps.
Yumi, pour une fois que je participe à une polémique (même si ok, j’arrive un peu en retard), je trouve ça rigolo !
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06/09/2006
Lévinas nous foutra-t-il un jour la paix?
Lundi soir Arte diffusait en deuxième partie de soirée un entretien fait il y a plusieurs années avec Emmanuel Lévinas, dans lequel l’occasion lui avait été donnée de revenir sur ses travaux et réflexions. Je n’ai regardé cet entretien que d’un œil, tout occupé que j’étais à rédiger mon article sur le naturel et la mémoire, mais tout de même j’en ai retenu quelques passages, d’autant plus intéressants qu’ils me semblaient compléter, avec le regard du philosophe, certaines des choses que je découvrais dans les travaux de Laborit.
Un passage notamment m’a frappé lorsque Lévinas a abordé la question de la connaissance, notamment de la connaissance interpersonnelle, c’est-à-dire la connaissance que les gens construisent les uns des autres.
Avant de revenir spécifiquement sur les propos de Lévinas, je voudrais faire un petit détour sur la question du langage et de la connaissance, en repassant par la case Laborit (et donc j'inclus également ce billet dans ma série sur ses travaux). Dans ses travaux, Laborit a beaucoup insisté sur l’ambiguïté du rôle du langage dans notre développement personnel. Car celui-ci, s’il est d’abord un miracle, qui nous permet de développer des pensées élaborées, et des liens avec les autres fabuleusement plus riches que ce qui existe dans le règne animal, peut aussi se transformer en piège lorsqu’on ne sait pas correctement identifier ses limites.
En effet, le langage pose un problème du fait du niveau d’abstraction qu’il crée dans notre rapport avec les choses. Car trop souvent, nous avons tendance à donner aux signes qu’utilise le langage pour désigner les choses, la même valeur de réalité qu’aux choses elle-même.
Je m’explique.
Lorsque je regarde le stylo qui est posé seul devant moi sur mon bureau et que je dis : « stylo », mon collègue qui a suivi la scène s’inquiète certes pour ma santé mentale, mais il comprend bien de quoi je parle, il n’y a pas de confusion dans son esprit sur ce qu’est un stylo, et nous en partageons tous les deux une image qui recouvre la même réalité. Mais lorsque mes mots vont désigner des « objets » plus complexes, et notamment lorsque j’évoquerai des concepts stratégiques abstraits en réunion, alors il y a fort à parier que nous ne comprenions pas lui et moi exactement les mêmes choses, voire qu’il me traite intérieurement de consultant.
C’est ce que j’avais déjà subodoré l’an dernier, lorsque j’avais entamé ma série sur la communication, en reprenant une idée que Kundera présentait dans L’Insoutenable légèreté de l’être. Deux personnes ne construisent jamais une représentation identique des choses. Les mots qu’ils utilisent pour désigner celles-ci portent une histoire, des expériences, un vécu différents, tant et si bien que la réalité qu’ils projettent sur ces mots ne peuvent pas être les mêmes et que la compréhension qu’ils auront l’un de ce que dit l’autre se confrontera toujours à une barrière invisible, qui empêchera que leur osmose soit parfaite.
Toute la difficulté est là. Le langage nous fait créer des interprétations des éléments et des évènements qui nous entourent. Mais il ne peut pas prétendre recouvrir en toute circonstance la réalité objective de ceux-ci. Notre cerveau fonctionnant de façon associative, il associe à un objet tous les éléments circonstanciels qui entourent la rencontre de cet objet. La lumière, la chaleur, la quantité, les personnes présentes, notre état de santé, etc. Et il construit ainsi une image complexe de cet objet et le rend éminemment subjectif, c’est-à-dire lié à un état émotionnel qui est spécifique à nous et à nous seul.
C’est ce qui fait que l’expérience que nous avons des choses et des gens qui nous entourent peut être similaire à celle qu’ont d’autres personnes, mais que jamais elle ne leur sera véritablement identique. Or le problème, c’est que nous avons pourtant une tendance naturelle à attribuer une réalité objective aux représentations que nous formons ainsi, alors qu’elles ne font que révéler l’expérience personnelle que nous en avons. Nous prenons la carte (la représentation que nous avons de l’objet) pour le territoire (l’objet lui-même). Et malheureusement ceci se manifeste quotidiennement dans nos comportements, sans que nous en soyons jamais vraiment conscients.
Les conséquences de ceci sont importantes. On comprend notamment qu’à la lumière de cette analyse, on doit envisager la notion de connaissance d’une façon nouvelle. Car comment se manifeste une connaissance, si ce n’est à travers le langage ? Lorsqu’un professeur donne son cours à ses élèves, quel est le medium privilégié pour leur transmettre le savoir et la connaissance ? Evidemment le langage. Mais étant donné l’imperfection que nous venons de lui découvrir, comment pouvons-nous prétendre que ce que le professeur leur transmettra sera bien LE savoir et LA connaissance ? Et que savons-nous de ce qui va rester du message initial dans les esprits de nos enfants après la transformation que leur cerveau en aura faite ? Et d’ailleurs, ce professeur est-ce bien LE savoir et LA connaissance qu’il transmet ? On est bien tenté de répondre non et qu’il ne va pouvoir enseigner que les représentations que lui-même se sera fait des éléments de sa discipline (en fait, les sciences dures, et surtout les maths, sont les seules qui permettent d’éviter cet écueil).
Mais alors la question se pose : qu’est-ce que la connaissance ? Que peut-on prétendre réellement connaître ? Difficile de répondre sur ce point, et je ne vais pas m’y aventurer. Je veux juste dire deux choses ici. La première, c’est qu’on aurait bien tort de s’imaginer que la suite logique de cette remise en perspective est d’enjoliver l’ignorance. Je n’ai jamais été un partisan du « puisqu’on ne peut rien savoir, alors n’étudions rien » et l’obscurantisme n’est pas ma tasse de thé.
Mais en revanche je crois très important de remettre la connaissance à sa juste place. Sa quête est certes essentielle dans notre développement à tous, et elle doit être favorisée. Mais il m’apparaît très important de savoir identifier les limites de ce que nous prétendons connaître. Trop souvent je vois des gens se hisser facticement au-dessus des autres parce qu’ils connaissent ceci ou cela, parce qu’ils peuvent citer de tête la descendance complète des bourbons, ou réciter d’affiler l’intégrale des poèmes d’Hugo. Quelle importance à tout ceci ? Pourquoi avons-nous une tendance si forte à estimer que la connaissance constitue une vertu supérieure alors qu’elle n’est qu’une capacité technique ? Encore une fois je ne dis pas qu’elle est mauvaise en soi, mais simplement qu’elle ne doit pas être élevée au rang d’absolu qu’on la voit si souvent avoir dans les cercles les plus éduqués. Et que la valeur d’un homme n’attendra jamais la quantité de ses connaissances.
J’en reviens maintenant à l’entretien avec Lévinas que je mentionnais en introduction. Lorsque j’avais écris mes billets concernant le racisme et l’antisémitisme en m’appuyant sur le livre de Finkielkraut, La Sagesse de l’amour, j’avais évoqué le piège qu’il pouvait y avoir à décrire les personnes qui nous entourent par divers qualificatifs. En procédant ainsi disais-je, on prend le risque d’enfermer la personne dans les qualificatifs que nous lui attribuons, et ainsi de lui réfuter toute possibilité d’être autre que ce que nous imaginons. En conséquence nous l’empêchons quasiment ainsi d’être elle-même.
La « connaissance » que nous prétendons avoir de l’autre se transforme alors en une violence que nous lui faisons en voulant la formater à l’aune de la représentation que nous en avons. Nous cherchons à lui faire porter le masque que nous avons construit pour elle. Ce n’est plus une connaissance que nous avons de l’autre, c’est un diktat que nous voulons imposer, le plus souvent d’ailleurs pour faire en sorte que cette identité, que nous cherchons donc à fabriquer nous-même, ne vienne pas bouleverser le court de nos propres certitudes.
Lévinas, dans son entretien, propose ici une idée que je trouve lumineuse (je cite de mémoire) : « Pourquoi ne pas remplacer la connaissance de l’autre, par la proximité ? » C’est-à-dire qu’il accorde une importance bien supérieure aux liens que l’on saura tisser avec les autres qu’aux connaissances que nous prétendrons pouvoir en avoir. L’objectif que poursuis Lévinas dans sa réflexion est d’atteindre la paix pour tous. Mais, dit-il de façon magnifiquement juste : « donner la paix à l’autre, ce n’est surtout pas lui foutre la paix ! » C’est la proximité, le lien social qui constitue la source de la paix, et certainement pas l’éloignement, auquel malheureusement, certaines « connaissances » aboutissent encore trop souvent.
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05/09/2006
L'empreinte et les orphelins roumains
Dans le billet précédent, j’évoquais l’importance de la mémoire dans nos comportements inconscients. La mémoire émotionnelle cristallise en nous des émotions et des sentiments que nous allons par la suite chercher à répéter, s’ils sont agréables, ou à fuir, s’ils sont désagréables. Il existe encore une autre mémoire qui intervient dans nos comportements inconscients, et de façon d’autant plus forte que celle-ci est indélébile. Il s’agit de l’empreinte.
Ici, il est inutile que je brode un texte personnel. Je préfère vous livrer un nouvel extrait de La colombe assassinée de Laborit, dans lequel il est remarquablement précis et concis à la fois :
"En effet, à la naissance, le cerveau des mammifères et de l’homme est encore immature. Bien sûr, il a son nombre de neurones et il ne fera plus qu’en perdre au cours de son existence. Mais ces neurones n’ont pas encore établi entre eux tous leurs contacts synaptique. Ces synapses vont se créer pendant les premières semaines, au cours des premiers mois chez l’animal, pendant les premières années chez l’homme, en fonction du nombre et de la variété des stimuli qui proviennent de l’environnement. On comprend que plus ces synapses nouvellement créées sont nombreuses, plus les possibilités d’associativité d’un cerveau sont grandes et l’on comprend d’autre part que ces synapses soient indélébiles. La trace qui va accompagner leur création et la mémoire qui sera liée à cette création seront elles-mêmes indélébiles.
C’est ce qu’a bien montré Konrad Lorenz. Ainsi, un jeune chaton enfermé à sa naissance dans une cage avec des barreaux verticaux pendant un mois et demi, ce qui constitue pour lui la période de plasticité de son cerveau, lorsqu’il sera placé dans une cage avec des barreaux horizontaux, butera contre eux pendant tout le restant de son existence parce qu’il ne les verra jamais. Son cerveau n’a pas été habitué dans la première période de sa vie à coder les voies neuronales de telle façon qu’il voie des barreaux horizontaux. Un jeune poulet peut être placé à sa naissance en contact avec un seul objet dans son environnement qui est un leurre, lorsqu’il aura atteint l’âge adulte, on pourra lui présenter les plus belles poules, ce n’est pas avec elles qu’il tentera la copulation mais avec son leurre. De jeunes rongeurs, à leur naissance, provenant de la même mère, de la même portée, peuvent être placés les uns dans ce qu’on appelle un environnement enrichi et les autres dans un environnement banalisé, appauvri. A l’âge adulte, si pour se nourrir ils ont à résoudre un problème de labyrinthe, les premiers résoudront le problème rapidement, les seconds ne le résoudront jamais.
On peut en déduire l’importance du milieu social dans ses premiers mois pour l’animal, dans ses premières années pour l’homme. Pendant ces premières années, en effet, tout s’apprend. L’enfant à sa naissance ne sait même pas qu’il existe dans un environnement différent de lui. Il doit découvrir ces faits par expérience. Quand un enfant touche avec sa main son pied, il éprouve une sensation au bout de ses doigts et au bout de son pied et cela se boucle sur lui-même. Lorsqu’il touche le sein de sa mère, ou son biberon, cette sensation ne se réfléchit plus sur lui mais sur un monde différent de lui. Il faudra donc qu’il sorte progressivement de ce que certains psychiatres appellent son «moi-tout», cet espace dans lequel il est l’univers qui l’entoure et c’est par mémoire et apprentissage qu’il va découvrir la notion d’objet, le premier objet étant lui-même. Il va devoir créer son image corporelle, son schéma corporel. Il va falloir qu’il découvre par expérience qu’il est limité dans l’espace et que l’espace qui l’entoure n’est pas lui. La notion d’objet n’est pas innée et nous ne nous souvenons pas de nos premières années parce que nous ne savions pas qu’un monde nous entourait, qui n’était pas nous."
C’est une des raisons pour lesquelles on recommande parfois de faire en sorte que l’enfant en bas âge puisse connaître des environnements variés, qu’il ne dorme pas toujours dans la même pièce par exemple, bref qu’il puisse multiplier les expériences qui vont ainsi lui permettre de se construire une empreinte la plus riche possible. A l’inverse, un enfant qui ne vivra pas ses premières années dans un environnement humain sain et qui lui permette de bien se développer, risque de grandir avec des carences qu’il ne pourra jamais combler.
C’est le très triste exemple que l’on voit encore aujourd’hui dans les orphelinats roumains. Après la chute du régime Ceaucescu en 1989, le monde découvrit ces mouroirs où des dizaines de milliers d’enfants abandonnés dés le plus jeune âge, étaient laissés à l’abandon, sans soin et mal nourris. Il en résultechez la plupart des dysfonctionnements comportementaux majeurs. Les images que l’on vit alors étaient horrifiantes. Mais dix ans plus tard, malgré l’effroyable urgence qu’il y avait, la situation semblait être la même.
Et encore hier soir, un reportage d’Arte Info montrait les mêmes images qu’en 1990 (je ne parviens pas à le retrouver), ce qui vient confirmer ce que rapportait en mai dernier l’association Mental Disability Rights International (lire le rapport intégral en pdf; voir les images (à ne pas mettre sous tous les yeux)). Certes, certaines informations laissent à croire que la situation s’est améliorée depuis. Il y avait plus de 100000 enfants qui peuplaient ces enfers en 1990, ils ne seraient "plus que" 30000 aujourd’hui, selon les autorités roumaines. Ils seraient notamment de plus en plus nombreux à être placés en famille d’accueil.
Pourtant, on ne peut guère se satisfaire du résultat obtenu. La Roumanie fait actuellement partie des pays candidats à l’entrée dans l’Union Européenne. Parmi les exigences auxquelles elle doit répondre pour valider son adhésion, figurent notamment un chapitre sur la protection de l’enfant. La commission européenne doit se prononcer en octobre prochain pour dire si la date retenue pour l’adhésion de la Roumanie est maintenue au premier janvier 2007, ou est repoussée. Sur ce chapitre pour le moins, on serait en droit d’être surpris qu’elle émette un avis favorable.
D’autant, que certains sites montrent que la propagande roumaine n’a rien perdu de sa superbe !
On pourra également lire cet article de RFI (mais qui n’est pas daté), et on trouvera des informations intéressantes auprès du site de l’association Valentina.
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Chassez le naturel, la mémoire revient au galop !
Ce billet est le premier de ceux qui alimenteront les apartés de ma série sur Henri Laborit. Ceux-ci me permettront de donner un peu de chair à la théorie et de l’ancrer dans l’actualité.
Il y a quelque jours, Koz a publié un billet très intéressant, comme il en a l’habitude, billet qu’il a intitulé : "l’ignorance péremptoire". Il s’agit là d’un concept, inventé par lui-même, et qui lui vaudra bientôt une reconnaissance zénithique dans la nation toute entière, qui désigne la tendance de certains, malheureusement trop nombreux aux yeux de Koz, à brandir leur ignorance comme un argument de discussion sur le thème : "les experts nous éloignent des grandes décisions et confisquent les éléments du débat : c’est louche, et bien que je n’y connaisse rien, je vais tout de même donner mon avis, ça fera contrepoids. D’ailleurs mon ignorance étant un gage de mon innocence, cela devrait suffire à démontrer que mon opinion est la plus impartiale, et donc la plus juste."
A ces cris, effarouchés que des gens puissent oser se prétendre experts en tel ou tel domaine, et de surcroît en tirer légitimité pour s’exprimer à leur sujet, Koz répond : " … il ne s’agit que du processus naturel selon lequel certains disposent davantage que d’autres de certaines aptitudes". Avant de critiquer cette position, je dois d’abord dire que je rejoins évidemment Koz dans son agacement contre cette tendance ridicule qu’ont certains à prétendre que si des gens se prétendent experts, c’est forcément pour comploter contre nous. Et qu’il faut bien appeler cela de la jalousie, nourrie d’ailleurs par un sentiment d’incapacité de se hisser soi-même au même niveau d’expertise (ce qui explique pourquoi ces gens-là avancent la plupart du temps des raisons exogènes à leur méconnaissance, la reconnaissance de ses propres limites n’étant pas affaire de couche sociale…).
Mais pourtant…
La formulation qu’utilise Koz pour démontrer son propos recèle une imprécision qui la rend probablement fautive. Car s’il est parfaitement raisonnable, après avoir constaté qu’il existe effectivement des différences de compétences entre les individus pour traiter de tel ou tel sujet, de vouloir se tourner vers les plus compétents afin qu’ils éclairent les débats de leurs lumières, il s’en faut sans doute de loin que l’on puisse affirmer que ces compétences ont quoi que ce soit à voir avec un processus naturel. On m’objectera peut-être qu’il s’agit là d’un détail, mais on verra à la lecture de ma critique détaillée qu’il n’en est rien. Car c’est tout un processus de construction sociale que l’on se propose ici, grâce aux outils théoriques proposés par le professeur Laborit, de remettre en cause (quoi, on dit bien que plus c’est gros plus ça passe, non ?).
D’abord, qu’entend-on par "processus naturel" ? Qu’est-ce qui, dans l’individu que je suis aujourd’hui, relève exactement d’un "processus naturel" ? "Naturel" ça veut dire quoi ? A priori, je serais tenté de dire en premier ressort que cela désigne ce qui en moi n’a pas été affecté (sans sous-entendu négatif sur ce terme) par mon environnement (culturel, familial, géographique, etc.). Dés lors si j’essaie d’identifier ces éléments naturels en moi, je m’aperçois vite qu’il en existe peu, et qu’ils ne recouvrent très probablement que des fonctions basiques qui n’entrent nullement en jeu dans mes compétences intellectuelles.
En gros quels sont-ils ? Et bien ce sont tous les comportements primitifs qui se manifestent encore en moi : manger, boire, dormir, se reproduire. Tous les comportements qui sont principalement orientés vers ma survie organique. Laborit montre dans ses travaux que ces comportements sont effectivement des comportements instinctifs. Ils sont gérés par notre cerveau reptilien (je reparlerai plus tard des trois cerveaux), qui existe avec une fonction identique chez les autres animaux dotés d’un système nerveux.
Ces comportements répondent à nos besoins fondamentaux, innés, identiques chez tous les individus de la même espèce, et même chez tous les individus tout court (les végétaux ont aussi ces besoins, en revanche, ils n’ont pas de système nerveux, ne peuvent agir sur leur environnement pour répondre à ces besoins, et restent donc complètement dépendants de celui-ci. Leurs besoins sont donc identiques aux nôtres, mais pas leurs comportements). Ils sont régis par la "mémoire" de l’espèce, celle qui est contenue dans les gènes qui dirigent l’organisation du système nerveux. Il s’agit donc là d’une mémoire transgénérationnelle, qui se transmet d’une génération à l’autre, et qui reste intacte dans le temps.
Et maintenant, en dehors de ces instincts, de ces besoins fondamentaux que nous devons satisfaire, qu’y a-t-il d’autre qui soit "naturel", inné en somme ? Et bien rien. Tout le reste est acquis, c’est-à-dire qu’il dépend d’un processus d’apprentissage. Nos connaissances et compétences d’aujourd’hui bien sûr, mais également une grande part de ce que nous considérons à tort comme étant des choses innées (et qui ne sont donc que des compétences acquises).
Avant d’en venir au plus important sur ce point, débarrassons-nous d’une objection que je sens poindre dans le fond de la salle. Quoi ? Il n’existe donc pas d’individus particulièrement prédisposés à certaines disciplines ? N’est-il pas de notoriété publique qu’Einstein avait un cerveau d’une taille supérieure à la normale ? Mozart n’a-t-il pas dés le plus jeune âge montré un potentiel exceptionnel dans le domaine musical ? Et dans nos familles, ne voit-on pas que nous développons les uns les autres des capacités différentes, alors même que nos parents nous donnent la même éducation ?
Certes, certes, mais on oublie ici deux choses importantes. La première, c’est que nous sommes encore aujourd’hui bien en peine de dire précisément de quoi fut et est encore faite notre propre éducation. C’est-à-dire, pour être plus précis, que nous sommes tout à fait incapable de saisir, au milieu des éléments distinguables de notre éducation (la religion que nos parents nous enseignent, les valeurs humaines qu’ils nous donnent, le milieu social dans lequel nous baignons), quel est l’impact des éléments non distinguables, de tous ces micros évènements, qui nous paraissent trop insignifiants en eux-mêmes pour pouvoir nous influencer, mais qui pourtant le font, par pichenettes successives, sur notre parcours personnel. Eléments qui mis bout à bout, font qu’un frère et une sœur, bien qu’ayant été éduqués par les mêmes parents, n’auront jamais transformé les messages de ceux-ci en la même expérience personnelle, et qu’ainsi, de multiples grains de sable seront parvenus à faire bifurquer des chemins que pourtant tout destinait à être semblables.
Et surtout, lorsque l’on pense à ces grands hommes qui ont essaimé l’histoire de leurs talents, on oublie qu’eux-mêmes n’auraient rien été s’ils n’avaient pas reçu l’éducation leur permettant d’exprimer ces talents. Et par cette éducation, j’entends jusqu’à des choses très primaires, comme le fait de marcher, de parler, de communiquer. Laborit montre bien que tout ceci n’est en aucun cas le fait d’un savoir inné, et que cela reste du domaine de l’acquis. Pour donner un exemple précis, un nouveau-né qui serait laissé à l’abandon avec simplement une intraveineuse pour le sustenter, sans aucun contact humain, sans même la moindre possibilité d’effectuer la moindre expérience, resterait, si l’on ose dire, à l’état de larve, ne développant pas la moindre des facultés qui aujourd’hui nous apparaissent pourtant comme étant proprement humaines. Il ne marcherait pas, il ne parlerait pas, il n’établirait pas de stratégie pour atteindre ce qui l’entoure, en bref, comme le dit Laborit, il ne deviendrait pas un homme.
Cela n’a absolument rien d’une simple représentation théorique. Je me souviens d’un fait divers particulièrement odieux, rapporté il y a de ça de nombreuses années, et qui m’avait suffisamment marqué pour que je m’en souvienne encore aujourd’hui. Un jeune garçon d’une dizaine d’années avait été retrouvé dans la cave de sa maison, vivant là comme un animal. Les policiers qui l’avaient découverts avaient vite compris qu’il s’agissait d’un enfant non désiré, que ses parents avaient élevé au sens propre comme un chien, en lui donnant à manger dans une gamelle, sans couverts, et en ayant avec lui des rapports humains qui se résumaient à lui jeter sa nourriture et à l’insulter.
Les policiers avaient été marqués par le fait que le garçon, une fois sorti des griffes de ses parents-bourreaux, ne manifestait aucune rancœur envers eux, et même, semblait parfaitement stupéfait du nouveau traitement qu’il recevait. N’ayant été "éduqué" dés son plus jeune âge, que comme un animal sans importance, il n’avait développé aucun des comportements humains normaux pour un enfant de son âge et était resté à l’état primitif que ses parents lui avaient assigné. Il s’exprimait de façon désordonnée, montrait un comportement "sauvage", et il restait incapable d’éprouver les émotions et d’avoir les comportements "humains" auxquels tous nous nous attendrions dans de telles circonstances. Il s’était "adapté" au mode de vie qui lui avait été proposé, et celui-ci lui semblait donc comme étant le seul "normal".
Ainsi on voit bien que des choses aussi simples, ou semblant telles, que parler, marcher, etc. sont des savoirs, des capacités, que l’on acquiert et qui ne sont donc pas innées. Bien sûr, notre patrimoine génétique porte en lui le potentiel de ces capacités, mais il n’en reste pas moins que celles-ci ne sont pas innées. Pour faire court, prédisposition n’est pas disposition.
Venons-en maintenant à l’analyse de nos comportements appris, analyse qui va nous permettre de reboucler sur la critique de la position de Koz. D’où viennent la plupart de nos comportements appris, comment ceux-ci sont-ils aujourd’hui guidés ? On peut le comprendre à travers l’analyse du fonctionnement de la mémoire. On a vu précédemment, que nos comportements primitifs, reptiliens si l’on peut dire, sont régis par notre mémoire génétique, "naturelle". Mais nos comportements sociaux, sont eux régis par une autre mémoire, qui existe au niveau du système limbique (ou cerveau mammalien).
On considère généralement que le système limbique est essentiellement le siège des émotions, des sentiments. Laborit lui donne un rôle plus précis :
"Considéré classiquement comme le système dominant l’affectivité, il paraît plus exact de dire qu’il joue un rôle essentiel dans l’établissement de la mémoire à long terme, sans laquelle l’affectivité ne paraît guère possible".
En effet, l’expérience a montré que les différents influx nerveux qui parcourent notre cerveau, passent de préférence par les voies neuronales déjà utilisées pour coder les mêmes expériences. En gros, lorsque pour la première fois nous embrassons une fille ou un garçon, l’influx nerveux qui s’ensuit va dégager des molécules particulières qui vont atteindre une synapse, et la modifier. Par la suite, lorsque nous répèterons cette expérience, l’influx nerveux généré passera préférentiellement par ce canal, car il a déjà été codé préalablement pour traiter son information. C’est ainsi que se forme la mémoire.
Comment agit ensuite cette mémoire ? Et bien lorsqu’un évènement survient, elle enregistre les sentiments et les émotions éprouvées qui sont liés à cet évènement. Cet enregistrement va permettre ensuite à l’individu, soit de répéter l’expérience éprouvée comme agréable, soit d’éviter l’expérience désagréable. Je ne vais pas aujourd’hui décrire tout ce processus, cela fera l’objet d’un autre billet dans ma série concernant les travaux de Laborit. Je compte seulement m’arrêter ici sur les stratégies mises au point pour répéter les expériences agréables.
Lorsqu’un individu a vécu une expérience agréable, sa mémoire va entrer en jeu et il va vouloir par la suite répéter cette expérience. C’est ce que Laborit appelle le réenforcement, ou répétition de l’action gratifiante. Or, pour pouvoir répéter cette action, il faut que l’objet sur lequel l’expérience agréable initiale s’est produite soit encore accessible et à la disposition de la personne. Laborit montre que c’est ce processus qui est donc à l’origine de ce que l’on appelle faussement l’instinct de propriété. Car il ne s’agit nullement d’un instinct, qui aurait alors une dimension innée, mais bien de l’apprentissage fait, par la voie de la mémoire, d’une expérience agréable que l’on va souhaiter reproduire.
Ayant identifié certaines expériences qui lui permettent de se faire plaisir, l’individu va comprendre qu’il ne pourra donc les revivre que si les objets liés à ces plaisirs restent à sa disposition, qu’il en est en quelque sorte propriétaire. Et c’est alors qu’il va mettre en place les stratégies qui vont l’assurer que ces biens restent toujours à sa disposition. Il va alors chercher à étendre sa maîtrise du territoire sur lequel se trouvent ces objets gratifiants. Laborit montre d’ailleurs que le territoire, s’il ne contenait aucun objet gratifiant, ne serait jamais défendu.
On le comprend déjà, une des stratégies les plus efficaces pour s’assurer la disponibilité des biens gratifiants est la dominance :
"Nous verrons qu’en situation sociale, ces besoins fondamentaux ou acquis ne peuvent généralement s’assouvir que par la dominance", dit Laborit.
La dominance devient nécessaire à établir lorsque deux groupes d’individus entrent en lutte pour les biens gratifiants qu’offre un même territoire. Leur confrontation va résulter en l’établissement d’une hiérarchie entre eux, qui va déterminer à quelle quantité de biens gratifiants les uns et les autres vont avoir accès. La volonté de maîtrise de "son" territoire, née de la notion de propriété, est donc à la source de la guerre (ce point méritera d’autres développements).
Or aujourd’hui, et c’est bien évidemment surtout le cas dans nos sociétés modernes, la dominance est assurée par la maîtrise d’informations abstraites, de concepts langagiers, de théories. C’est la capacité de manipulation de ces données abstraites qui permet à son détenteur de se hisser au-dessus des autres et d’obtenir une position dominante. Cela signifie notamment que la perpétuation de ces concepts, et aussi leur renouvellement, participe à faire perdurer la hiérarchie existante.
On peut trouver un exemple très simple de ce phénomène : la tendance au jargon si répandu dans le milieu professionnel des cols blancs. Ayant moi-même suivi un enseignement supérieur en école de commerce, j’ai toujours été frappé de la complexité, voire parfois de l’étrangeté des termes employés pour désigner des situations simples. Combien de théories stratégiques, combien de modèles managériaux n’a-t-on pas inventé ? Or, que produit in fine un jargon ? Exactement ce que produit tout langage : un cloisonnement entre ceux qui le maîtrisent et ceux qui ne le maîtrisent pas. En bref, il établit une hiérarchie de savoir et de compétences, et dans l’exemple que j’indique, cela s’étend à l’établissement d’une hiérarchie sociale.
J’ai déjà indiqué cette idée dans un précédent billet: le langage participe d’une fermeture du groupe qui le détient, car il définit pour partie son identité. Ici, dans le cas qui nous occupe, cette fonction est beaucoup plus criante que pour nos langues maternelles. Vraiment, quand aujourd’hui j’entends certains directeurs ou consultants utiliser un verbiage pompeux pour justifier telle ou telle stratégie d’entreprise, je ne peux m’empêcher de penser qu’en même temps ils envoient un message implicite pour rappeler à quel milieu social ils appartiennent et réaffirmer ainsi leur dominance.
Cependant, je dois reconnaître sur ce point, et j’en terminerai là-dessus, qu’il est fort probable qu’ils envoient ce message de façon relativement inconsciente. Car aujourd’hui, après des milliers d’années passées à établir des stratégies de dominance, nous avons perdu la conscience du but premier de celle-ci : nous permettre de répéter des actions gratifiantes. Laborit l’explique très bien, et je le laisse donc vous le dire :
"…le langage, signifiant support de toute sémantique qui lui est propre, n’exprime plus l’objet seulement mais l’affectivité liant celui qui s’exprime à cet objet. L’homme est passé ainsi de la description significative au concept lui permettant de s’éloigner de plus en plus de l’objet et de manipuler des idées à travers les mots, sans être vraiment conscient de ce qui animait sa pensée, à savoir ses pulsions, ses affects, ses automatismes acquis et ses cultures antérieures. Ainsi, en croyant qu’il exprimait toujours des faits qu’il appelle objectifs, il ne s’est pas rendu compte qu’il ne faisait qu’exprimer toute la soupe inconsciente dont ses voies neuronales s’étaient remplies depuis sa naissance, grâce à l’enrichissement culturel, c’est-à-dire à ce que les autres, les morts et les vivants, avaient pu coder dans ces voies neuronales".
Certains hocheront probablement de la tête de façon dubitative en songeant qu’ils ont bien l’impression d’être la plupart du temps parfaitement conscients de ce qui les fait agir. Ils se trompent. J’en ai eu encore confirmation dans l’émission Rayon X diffusée la semaine dernière sur le service publique. Elle rappelait que 90% (oui oui 90%) de nos actions étaient exclusivement liées à des automatismes comportementaux dont nous étions parfaitement inconscients. 90% de tout ce que nous faisons dans une journée est fait plus par ce qu’on pourrait appeler la mémoire du corps, qui se souvient de ce qu’il a à faire dans telle ou telle situation que par un véritable processus de pensée consciente (au fait, vous n'avez aucun tics vous?, hm?). Ce point également fera l’objet d’une plus ample analyse ultérieurement.
Il me faut maintenant conclure ce billet déjà bien long. Je voudrais tenter de le faire en reprenant la formulation de Koz pour l’ajuster avec ce que nous avons ici découvert. Ainsi sa phrase :« il ne s’agit que du processus naturel selon lequel certains disposent davantage que d’autres de certaines aptitudes » devient désormais :« Il s’agit de l’héritage de choses apprises et inscrites dans nos cerveaux depuis des milliers d’années, qui font qu’aujourd’hui, certains se sont dotés davantage que d’autres de certaines aptitudes, et dont ils se servent pour maintenir leur dominance ».
Je vous raconterai la suite plus tard, et Jean Rochefort, dans Les tribulations d'un chinois en Chine, ajoutait: "Elle ne manque pas de sel !"
N.B: toutes les citations de Laborit utilisées dans cet article sont extraites de son livre La colombe assassinée.
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31/08/2006
Henri Laborit, biographie
Henri Laborit était un biologiste français, né à Hanoi, Viêt-Nam en 1914, et mort à Paris en 1995. Son père, officier médecin des troupes coloniales, est mort lorsqu’il avait 5 ans, des suites d’un tétanos, et lui-même contracta une tuberculose à l’âge de 12 ans. Il suivi rapidement les traces de son père, devenant à son tour médecin de l’armée, dans laquelle il exerça l’activité de chirurgien. Pendant la 2ème guerre mondiale, il servit sur plusieurs bâtiments de la marine, dont le Sirocco qui fut coulé le 31 mai 1940 lors de l’évacuation de Dunkerque, ainsi que sur l’Emile-Bertin lors du débarquement d’Anzio en janvier 44, ainsi que lors du débarquement en Provence.
Après la guerre, il exerça dans les hôpitaux de Lorient et Bizerte (Tunisie) puis en 1949, il faut muté au laboratoire de physiologie du Val de grâce où son activité s’orienta vers la recherche. Et c’est en 1951 qu’il découvrit la chlorpromazine, aussi connue sous le nom de Largactil, premier médicament antipsychotique utilisé notamment pour soigner la schizophrénie.
A partir de 1958 il dirigea dans le cadre de l’hôpital Boucicaut le laboratoire d’eutonologie, créé comme une association de loi 1901 et qu’il ne finança qu’avec les ventes de ses brevets et ses droits d’auteurs (mais aucune aide de l’état). Il eût également une forte activité d’enseignant et de conférencier à travers le monde, en particulier aux Etats-Unis, mais aussi en Europe, en Afrique et en Extrême-Orient.
Les travaux de Laborit reçurent un accueil très favorable aux Etats-Unis, où il reçu d’ailleurs le prix Albert-Lasker en 1957 pour saluer sa découverte de la Chlorpromazine, ce prix étant probablement le prix le plus prestigieux dans son domaine d’activité, en dehors peut-être du Nobel. Il fut également récompensé plus tard par la médaille de l’OMS, en 1972, et il reçu le prix Anokhin (URSS) en 1981. Le Prix Nobel cependant, Laborit ne le reçu jamais, bien qu’il fut pressenti pour le recevoir, très probablement en raison de sa démarche très indépendante qui l’éloignait des grands cercles scientifiques reconnus.
Car durant toute sa carrière il refusa de se fondre dans le moule habituel des chercheurs et des scientifiques, notamment dans le moule français, et il chercha sans cesse à éviter le conformisme tant dans ses méthodes de recherche que dans son comportement humain. C’est même là un des points importants de son travail que d’avoir chercher à disséquer les sources du conformisme et d’avoir dénoncer ce comportement. Cette attitude lui valu d’être longtemps très mal perçu, et d’ailleurs même sa mort fut accueillie par l’indifférence marquante des gens de son métier.
L’un des principaux intérêts de la démarche de Laborit, est qu’il n’a pas voulu restreindre sa réflexion au seul cadre de la recherche biologique. Comprenant l’impact de ses découvertes sur la compréhension du comportement humain, il s’aventura sur les terrains de la psychologie, de la sociologie, de l’économie et de la politique. On retrouve souvent dans ses livres ce souci de mettre en relation les différentes disciplines et sciences humaines, et de montrer que si on ne les considère qu’isolément on ne peut alors en extraire la vérité qu’elles contiennent, car l’une éclaire l’autre, et c’est par la reconstitution du puzzle qu’elles forment que l’on parvient à répondre réellement aux questions que chacune se posent.
Il a d’ailleurs ouvert en universités des unités de valeur qui regroupaient ces différentes disciplines, notamment à Vincennes où il créa une uv intitulée « biologie et urbanisme », ainsi qu’à l’université du Québec, à Montréal, où il assura un enseignement de bio-psycho-sociologie, de 1978 à 1983. Enfin, il intervint également dans le domaine de la cybernétique, ayant compris de façon remarquablement anticipée, le développement que l’information et son échange pourraient avoir sur nos sociétés modernes, cela bien avant l’apparition d’Internet tel qu’on le connaît aujourd’hui.
Les principaux livres qu’il publia sont Biologie et structure (mars 1968), qui rencontra un certain succès notamment dans le cadre des évènements de mai de la même année, L’Agressivité détournée (1970), qui est l’introduction de tout son travail sur la biologie comportementale, La Nouvelle Grille (1974), L’Eloge de la fuite (1976), qui reste à ce jour le plus connu et le plus lu de ses ouvrages, L’Inhibition de l’action (1979), Dieu ne joue pas aux dés (1987), pour ne citer que ceux-là. Il s’est rendu célèbre dans le grand public par sa participation au film d’Alain Resnais, Mon oncle d’Amérique, dans lequel il présente une grande partie de ses travaux et réflexions.
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30/08/2006
Ecrire sur Laborit, c'est laborieux
Avec deux bons mois de retard, ce qui confirme ma tendance à la procrastination (un mot qui fait partie de ceux que tout bon blogueur doit avoir écrit au moins une fois dans un post s’il veut être reconnu par ses pairs), j’entame ma série concernant Henri Laborit. Au-delà de ladite tendance à la prostri, crospi, straco à la flemme, qui me caractérise encore trop souvent, je dois tout de même dire pour ma défense, que ce retard est en partie dû au fait que la production de quelque chose d’à peu près potable sur le sujet nécessite un travail plus que conséquent. Et que donc, cette série risque de ne prendre fin que dans pas mal de temps, contrairement à ce que j’avais souhaité initialement. Mais je pense que c’est un mal pour un bien, enfin je l’espère, je vous en laisserai juges.
En gros, voici le programme que je voudrais parvenir à suivre, en gardant la possibilité, comme ce fut le cas pour les autres séries, d’opérer quelques bifurcations et autres apartés :
1. Sa biographie. Bien sûr on en trouve déjà de très bonnes dans des encyclopédies, et même sur Internet, et d’ailleurs, c’est, on s’en doute, à partir de ces travaux déjà existants que je vais faire la mienne. Mais je l’inclus afin que cette série puisse constituer un ensemble relativement complet qui d’une certaine façon se suffise à lui-même.
2. Un petit lexique utile pour aborder les travaux de Laborit et ne pas être trop perdu dans un vocabulaire nouveau.
3. Une tentative de synthèse de ses travaux et de la théorie générale.
4. Un point précis sur l’agressivité.
5. Un point précis sur la notion de fuite.
6. Un point précis sur la question d’inhibition de l’action (oui, j’ai déjà écris plusieurs choses là-dessus, mais impossible de faire cette série sans aborder à nouveau cette question, d’autant que je ne l’avais pas assez approfondie).
7. Une tentative de critique de l’approche et de l’analyse de Laborit. Difficile étant donné mes maigres moyens, mais j’espère parvenir à quelque chose car le risque d’une telle série est bien sûr de tomber dans un ébahissement bêta qui empêche de vraiment réfléchir. Il est probable que ceci ne constitue pas un billet en lui-même, mais que je cherche dans chaque billet à indiquer quelles sont les limites que je vois dans tel ou tel raisonnement, lorsque j’en vois. On verra selon la façon dont tout cela se développe.
Evidemment, il me faut à nouveau préciser, ne serait-ce que pour les éventuels nouveaux arrivants, que je ne propose ce travail qu'en pur amateur du dimanche. C'est donc un esprit doublement critique qu'il vous faudra appliquer en me lisant: envers Laborit, et envers moi-même. J'espère toutefois que vous serez intéressés, et que je parviendrai à maintenir cet intérêt, car Laborit dans ses travaux, à produit des analyses comportementales aussi sérieuses qu'originales, de la lecture desquelles on ressort avec des pistes de réflexion très riches!
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25/08/2006
RévolutionS dans le système solaire !
Oui, vous avez bien lu, j'ai mis un s, et même un S à révolution. Car hier soir, sur la trois, ce n'est pas à une, ni à une et demi, mais bien à deux révolutions que nous avons eu droit dans le système solaire, ma chère Maryse.
Car tenez vous bien (mais lâchez quand même ma manche), non seulement la journaliste du 19/20 de France 3, édition nationale, nous a appris la décision de l'Union Astronomique Internationale (UAI), organe paraît-il vachement respecté, de démettre Pluton la gracile de son statut de planète (pourtant on n'a pas entendu parlé de contrôle anti-dopage positif?), mais en plus, et c'est sans doute là que France 3 apporte sa valeur ajoutée, l'animation en images de synthèse, censée montrer la carte des planètes du système solaire, présenta Vénus en première place, devant Mercure!
Heureusement notre bonne vieille Terre figurait toujours sur le podium, en troisième position, mais tout de même, ce changement de tiercé astral faisait un peu tâche. Et toujours sur France 3, lors du soir 3, nous apprîmes par la bouche de Marie Drucker, qui désormais en plus de faire tourner les têtes, fait aussi tourner les astres, que ce déclassement était principalement dû à l'orbite étrange que décrit Pluton autour du soleil, puisqu'elle croise par périodes celle de Neptune.
Uh? fis-je en levant le sourcil gauche, après une vaine tentative avec le droit. Plus tôt dans le 19/20, les explications données m'avaient semblées plus sérieuses pour le coup: taille de Pluton, matière de la planète (glace), semblaient être les arguments principaux.
Maintenant qu'en est-il vraiment? En fait cela fait déjà bien longtemps que les astronomes ont une opinion partagée concernant Pluton. Beaucoup d'entre eux estimaient déjà depuis un moment que Pluton n'était qu'un vulgaire objet transneptunien. En fait, comme le dit très bien un récent article du magasine Futura Science, tout dépend de la définition que l'on donne au mot planète.
Pluton présente déjà plusieurs particularités par rapport aux 8 huit autres "classiques": elle a une orbite particulièrement inclinée, et moins ronde que les autres (plus elliptique), elle dessine un pas de deux unique dans le système solaire, avec Charon, qui est considéré comme étant son satellite (il y en a deux autres mais ils sont vraiment minuscules), puisque le centre de gravité autour duquel les deux compères tournent se situe environ à deux rayons plutoniens du centre de Pluton, et est donc en dehors de Pluton, et sa révolution autour du soleil est particulièrement longue, s'établissant à 248 ans.
En gros, si on continuait d'élever Pluton au rang de planète, on devrait également compter Charon dans le groupe, ainsi que Cérès, le plus gros astéroïde de la ceinture située entre Mars et Jupiter, et également l'élément poétiquement nommé "2003 UB313" (ou Xena, ce qui n'est pas terrible non plus), et en fait même une douzaine d'autres, tous indiqués dans l'article déjà cité.
Mais donc hier, l'UAI en décida autrement, et choisit plutôt de réduire le nombre de planètes officielle du système solaire. Et ben n'empêche, moi ça me fait un pincement.
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