29/05/2006
Je n'est pas un autre !
Oui je sais, écrit comme ça, au premier abord, ça fait bizarre, mais vous allez voir, y’a une explication. Notez au passage, que j’ai beau être en mode blogging de survie, c’est déjà le deuxième billet de la journée, et peut-être même qu’il y en aura un troisième plus tard (bande de veinards).
Je rebondis ici sur mon précédent post pour indiquer un détail de comportement de Joey Starr que je n’y ai pas relevé, un peu exprès pour le réserver pour ce billet. Il s’agit d’une utilisation un peu surprenante que le chanteur fit du « tu », alors qu’il était interrogé par Ardisson sur sa propre enfance. Je ne me souviens pas par cœur des termes exacts qu’il a utilisés, mais je vous rapporte en gros ce qu’il disait :
« T’as 10-12 ans, tu t’interroges, tu vois les autres de ton âge qui ont une vie de famille normale, avec leur père et leur mère, tu te poses des questions, tu te demandes, y’a des choses que tu comprends mal », etc.
Pourquoi diable Joey Starr a-t-il répondu à Ardisson en utilisant ce « tu » alors même qu’il parlait de lui-même ? Certains diront que c’est juste un usage, une façon de s’exprimer qu’ont certains, qui ne recouvre dans le fond aucun sens particulier, et ils lèvent déjà les yeux au ciel en priant que je ne leur inflige à nouveau ma psychologie de comptoir. Ils rêvent.
Cette utilisation du tu au lieu du je servais à Joey Starr à se protéger. En généralisant la question particulière qui lui est posée, il sort du cadre personnel qui est posé, il évite « l’humiliation » d’avoir à rendre compte de sa propre vie en public. Il ne répond plus pour lui, mais en général, et ainsi se met à distance des regards et des jugements. C’est une attitude de protection, d’évitement, qui n’a d’autre but que de détourner l’objet de la question initiale afin qu’elle ne touche pas exactement son but, car si elle le touchait, elle ferait mal. En d’autres termes, en répondant ainsi, Joey Starr a donné un autre signe, que j’ai trouvé très fort pour ma part, de la gêne qu’il avait face à l’histoire de son enfance, et très probablement également de la souffrance persistante que celle-ci faisait peser sur sa personne.
On découvre là que l’utilisation du je pose parfois de vrais difficultés. Je pense notamment à deux types de situations dans lesquelles il est fréquent d’entendre des personnes ne pas utiliser la première personne du singulier alors qu’ils devraient normalement le faire : pour établir une distance entre soi et son récit, et éviter ainsi, à l’instar de Joey Starr, que persiste la souffrance liée au récit, et pour atténuer voire supprimer la responsabilité que font porter sur nous certains propos.
Le deuxième cas est très fréquent, bien plus qu’on ne l’imagine, et pour être clair, je ne crois pas que qui que ce soit y a échappé. Je sais que je l’ai déjà fait moi-même. Quoi ? Vous protestez ? Les autres peut-être, mais vous sûrement pas ? Mais si voyons, vous savez bien : « On a souvent tendance à gonfler son salaire réel dans un entretien d’embauche. », « Parfois pour éviter une corvée on en rajoute un peu sur sa fatigue ou sur ce qu’on a déjà prévu de faire. », « On est toujours mal à l’aise quand il s’agit d’évoquer nos problèmes personnels devant les autres. », etc.
Essayez dès aujourd’hui de détecter chez les autres ces petits évitements quotidiens. Vous verrez rapidement qu’ils sont nombreux, et que quand on les détectent, on voit soudain les autres sous un autre jour, parce qu’on perçoit mieux quels sont leurs blocages, les choses qui les touchent et qu’ils ont plus de mal à dire ou à assumer. D’ailleurs, ce comportement est encore plus fréquent dans les discussions disons intimes. On voit alors ceux qui ne veulent pas se dévoiler se cacher derrière l’utilisation de pronoms parfaitement inadaptés, évidemment lorsqu’ils ne restent pas tout simplement silencieux.
Pour conclure ce billet (vous avez vu comme je fais des efforts pour raccourcir), une dernière petite remarque. En général, c’est le neutre qui l’emporte pour éviter le je. C’est le plus simple parce qu’il généralise, et aussi bien sûr parce qu’il nous inclus tout de même dans le lot, et ainsi ne donne pas une impression trop forte de décalage de langage et donc de gêne résultante. Mais quand la personne en vient à utiliser un tu, ou un il, bref un pronom qui par sa nature exclut le je du jeu, alors on peut être sûr qu’on touche à un gros nœud dans sa vie, à quelque chose de très sensible. Sinon elle n’aurait pas besoin d’établir une si grande distance entre ce qu’elle évoque et elle-même.
Et dans ce cas, il peut être bénéfique de faire prendre conscience à cette personne qu’elle devrait peut-être dire je. Cela lui sera sans doute difficile, mais ça pourra l’aider à reconnaître un problème enfouit, ou plus simplement à confier ce problème et à se faire aider.
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Ne méprisons pas la souffrance
Mon blog est en train de se faire avaler par un grand trou noir. Je n’ai plus d’ordinateur personnel depuis quelques semaines (disque dur mort), j’ai été pris toute la semaine dernière par mes travaux (qui avancent, mais punaise quand on est seul et de surcroît génétiquement handicapé pour les travaux manuels, c’est pas facile), et la fréquentation de cet espace s’en ressent très lourdement (même si je note que, très sympathiquement, Blogspirit continue de faire semblant de compter des entrées).
C’est donc en situation « blogging de survie » que je poste ce billet (si mon chef me lit, je le salue). Sur un sujet qui va en plus passionner tout le monde et qui en dit long sur mon niveau de connection avec les dernières informations : le passage de Joey Starr chez Ardisson samedi soir.
Il présentait son dernier livre, une autobiographie écrite avec Philippe Manœuvre, intitulée « Mauvaise réputation ». J’en avais un peu entendu parlé la veille dans le magazine de la santé, sur France5, et la présentation qui en avait été faite donnait un peu envie de tourner quelques pages dudit ouvrage. Visiblement, Joey Starr s’est livré à un exercice pas évident, et peut-être encore moins pour lui qui semble plus souvent chercher à donner des gages de virilité qu’à se dévoiler, en racontant un peu les détails de son enfance, et notamment de l’éducation reçue par son père.
On y découvre que Joey Starr a été élevé par son père, à la ceinture, et dans une ambiance générale pour le moins « virile ». L’anecdote la plus marquante étant sans doute celle du lapin. Un jour, le père de Didier Morville (puisque c’est son vrai nom) ramène un petit lapin blessé, et le lui donne. L’enfant s’en occupe, s’y attache, l’aide à se rétablir. En quelques jours, celui-ci devient le petit centre chaud de sa vie quotidienne. Puis un matin, son père lui demande d’amener son lapin, et le petit Didier s’exécute. Son père donne alors deux coups de planches au lapin pour le tuer, et force son fils à le manger au repas de midi. Sympa.
Ce qui m’a frappé durant l’interview du chanteur, ce fut l’attitude générale des gens sur le plateau, tant d’Ardisson-Baffie, que des invités, et en particulier de Maurice Druon. Car alors que l’on raconte l’histoire d’une enfance battue et maltraitée, tout le monde semble faire comme si de rien n’était, comme s’il s’agissait dans le fond d’une histoire cocasse, haute en couleur, de celle que l’on connaît fréquemment chez les artistes, en particulier quand ils sont de cette trempe là, et donc bon, rien de très particulier à tout ça, dans le fond on reste dans le connu et le prévisible, et Joey Starr, maintenu dans un univers violent, même si ce n’est pas lui l’auteur des violences en questions, n’est dans le fond perçu que perpétuant ce pour quoi on l’attend : une histoire sordide d’un gosse des cités.
Puisqu’il a la politesse de bien conserver l’étiquette publique qu’on lui colle volontiers, alors même que son bouquin semble donner quelques pistes pour faire comprendre qu’il ne peut pas tout à fait être résumé à cette seule étiquette, personne ne bronche, et l’interview se poursuit sur le ton bon enfant qui sied le mieux aux émissions de divertissement. Maurice Druon, disais-je, se détache tout de même un peu du lot, en se rapprochant plus que les autres du pire. On le voit arborer un sourire immense, pouffer lors de l’explication de certains passages du livre. Pour lui pas de doute, on raconte là l’histoire d’une enfance exotique et bigarrée qui le change du milieu engoncé de l’Académie Française.
Et il touche le sommet lorsque, en intervenant suite à la mention des coups de ceinture et de ceinturon, il indique que selon lui, l’éducation s’accommode très bien de quelques coups donnés à un enfant, pour lui faire comprendre le concept d’autorité. Je ne souhaite pas ici aborder le débat sur l’éducation des enfants pour savoir s’il est bon qu’elle soit musclée ou non, mais relever l’incroyable absence de sensibilité, dont le par ailleurs très valeureux Druon, a témoigné à ce moment là.
Car ce n’est pas une éducation normale qu’on évoquait alors, on ne parlait pas de la gifle traditionnelle donnée en réprimande d’une bêtise. Et il s’agissait encore moins d’une « histoire » seulement bonne à remplir un livre. Non, on parlait d’un enfant qui a été maltraité et battu par son père, et qui semble toujours témoigner, du moins pour ce qu’en montrent les médias, de l’influence qu’a exercé cet environnement violent sur lui.
D’ailleurs, à l’image, cette dichotomie apparaissait assez nettement. Car tandis que les autres persistaient dans leur légèreté, Joey Starr se montrait lui peu à l’aise, touché par moment par certains détails qui étaient rapportés par Ardisson. Son comportement, ses gestes, le choix de certains mots, témoignaient, il me semble, de la blessure encore vive qu’avait laissé ce père dans la vie du garçon. L’un des cameramen fut apparemment le seul de la joyeuse bande à saisir ce malaise, qui fit plusieurs gros plans sur les mains de l’artiste, lorsque celles-ci se joignaient nerveusement, comme pour contenir les émotions que l’histoire soulevait.
Et lorsque Druon indiqua qu’il trouvait qu’une bonne paire de gifles faisait parfois le plus grand bien, on vit Joey Starr se rejeter légèrement en arrière, tourner la tête en sens opposé à l’académicien qui était à sa gauche, esquisser discrètement un signe négatif de la tête. Je me trompe peut-être, mais je crois qu’à ce moment là c’était très clair : Joey Starr n’assimilait pas son enfance et les coups de ceinture de son père à de simples claques, et non il ne devait pas trouver que ce qu’il avait subit pouvait être ainsi méprisé et rabaissé à une banale histoire de choix d’éducation. Je crois que s’il avait ouvert la bouche à ce moment là, il aurait volontiers dit qu’il aurait bien aimé voir Druon à sa place pour savoir s’il prendrait toujours la chose avec le même sourire.
Qu’on comprenne bien de quoi il s’agit ici pour moi. Pas de faire des différents participants de l’émission des monstres sans cœur et incapables de réagir avec sensibilité devant un récit sordide. Mais plutôt d’adresser un avertissement contre ces comportements qui laissent trop facilement passer des faits ignobles sous le seul prétexte que c’est du passé et que celui qui les a vécu semble s’en être bien sorti. En passant, on voit très bien dans cet exemple quel mal peuvent faire les étiquettes lorsqu’elles collent trop solidement aux gens. Je suis absolument persuadé que si ce récit avait été fait par un garçon auquel ne collait pas une image aussi sulfureuse et entourée de violence que Joey Starr les réactions auraient été beaucoup plus peinées et attentives.
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L’ironie de l’histoire pour moi, c’est que c’est chez Fogiel dimanche soir que j’ai entendu la phrase qui me semblait la plus percutante pour répondre à ces attitudes. Il présentait en fin d’émission le livre semble-t-il très intéressant de Xavier Pomerreau, intitulé Ado à fleur de peau, qui traitait des signes de souffrance manifeste que les adolescents laissent parfois (j’ai eu du bol, je n’ai regardé que ce passage de l’émission). Xavier Pommereau a eu une phrase clé selon moi, que je reproduis environ : « Il n’y a rien de pire que de mépriser la souffrance des adolescents. »
Je crois qu’on peut clairement généraliser cette idée à tout le monde, aux adolescents autant qu’aux non-adolescents. Et dire qu’il n’y a rien de pire pour quelqu’un qui souffre ou qui a souffert, de voir les autres remettre en cause la réalité ou même seulement la force de cette souffrance. C’est comme si l’on niait ce que l’autre à vécu et qui fait pourtant partie de ce qui l’a le plus marqué. C’est aussi un message qui dit en substance : « nous ne t’aiderons pas », puisque précisément on ne considère pas que cette souffrance en vaille la peine. On enfonce ainsi un peu plus la personne qui souffre dans sa solitude, ce qui est pourtant dans de très nombreux cas exactement ce qu’elle a besoin de rompre pour se donner une chance de ne plus souffrir.
On trouvera peut-être que mon jugement est excessif, mais pour moi une telle absence de sensibilité est quasiment criminelle. Elle fait partie de ces comportements scandaleux dont Camus écrivait dans le Mythe de Sisyphe qu’ils sont aussi nombreux que répandus parmi les hommes.
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18/05/2006
Le sens des rites et des rituels
Dans les premières années de ma tendre enfance j’ai reçu une parfaite éducation religieuse : j’allais à la messe tous les dimanches, participais activement aux cours de catéchisme donnés par les volontaires de ma paroisse, je lisais même la bible par moi-même, au travers d’une version en bande dessinée que je trouvais très agréable à feuilleter, d’autant qu’il faut quand même avouer que l’histoire est plutôt prenante, tant dans l’ancien que dans le nouveau testament.
Mais petit à petit, assez tôt en fait, vers l’âge de 8 ou 9 ans, le doute a commencé à s’installer quant au sens de tout cela. Plusieurs choses ont participé à mon éloignement progressif de la pratique religieuse. D’abord, et j’aurais presque pu (dû ?) m’arrêter à ça, l’absence ressentie d’un véritable sentiment religieux, d’une vraie croyance. Mais à cela s’ajoutaient deux éléments, qui étaient pour moi très frappants, et qui ont agit comme des accélérateurs dans mon adoption d’une vie profane. Tout d’abord, la certitude grandissante que ceux qui m’entouraient et qui avaient mon age, ne poursuivaient en aucun cas leur « apprentissage » du fait d’une quelconque foi, mais bien, et de façon absolument exclusive, du fait de l’éducation et des repères qu’entendaient leur donner leurs parents. Ensuite, et c’était en fait un symptôme, le plus fort, des comportements observés dans le point précédent, le malaise qu’engendrait chez moi la pratique des rites religieux.
De quelque religion qu’ils relèvent, les rites présentent pour moi un paradoxe immense, car ils me semblent toujours être à la foi des éléments qui éloignent leurs pratiquants de leur foi, et en même temps ils révèlent l’ampleur de cet éloignement. Je m’explique.
Ce que je trouve marquant dans une cérémonie (là je me situe essentiellement dans le cadre d’une célébration catholique, même si globalement les autres ne me semblent pas vraiment s’éloigner du schéma que je vais décrire), c’est à quel point les choses sont balisées, automatisées, mécanisées en quelque sorte. A une exclamation du célébrant répond une réplique, toujours la même, des fidèles. A un geste, répond un autre geste (le signe de croix fait sur son front, puis sur la bouche, puis sur le cœur par exemple). Etc. A chaque fois que j’ai eu l’occasion de retourner à l’église après ma prise de distance avec le monde religieux, j’ai toujours été très frappé par le caractère qui me semblait très mécanique de tout cela, comme s’il ne s’agissait plus que de réciter sa foi, par les mots et les gestes, mais sans plus y mettre la moindre émotion, la moindre profondeur, bref, sans que tout ça n’ait plus le moindre sens pour les participants.
Je me souviens d’ailleurs lorsque j’avais préparé ma première communion, que j’avais été frappé de constater que le point qui semblait à tous le plus crucial, tant pour les participants que pour les préparateurs, avait été de bien se souvenir de la position des mains pour recevoir l’hostie. Main droite sur le dessus ou main gauche ? Les gamins en avaient des sueurs froides d’oublier au moment décisif quel était la bonne position, et craignaient de ne point recevoir leur rond à mâcher (enfin ceux qui ne cherchaient pas à faire les malins devant les autres). Et le spectacle auquel j’avais assisté lors de ma préparation de profession de foi (c’est là que j’ai tout stoppé, au final j’avais bien attendu quand même…) n’était guère moins absurde.
Bref, ces rites qui ont cours lors des cérémonies sont à chaque fois pour moi un signe terrible d’une absence fondamentale de sens dans ce qui est fait. Absence d’autant plus choquante dans un domaine qui reste, même pour moi qui suis désormais non croyant, l’un des plus important dans ce qui constitue notre vie spirituelle, et bien évidemment d’autant plus pour des croyants ! Comment peut-on adopter une attitude aussi creuse et aussi absurde dans ce que l’on présente comme étant un des élément fondamentaux de sa personnalité, et de ses choix de vie ? Il m’est arrivé à plusieurs reprises, dans les derniers temps de ma présence à l’église, d’avoir envie de crier un grand STOP ! à la foule pour leur dire "Arrêtez, regardez donc ce que vous faites, croyez-vous un seul instant que Dieu se trouve dans vos mimiques, dans vos têtes baissées, dans vos signes de croix, dans vos genoux pliés, dans vos récitations de pantins ? N’accordez-vous donc que si peu d’importance à ce que vous faites et au sens de votre démarche religieuse, pour en faire reposer une si grande partie sur des comportements aussi vides de sens ?"
Les rites ne pourront jamais être, au mieux, que les signes extérieurs de la foi, son décor en quelque sorte. Leur rôle ne peut être que périphérique. Mais en aucun cas leur observation ne peut être assimilée à l’expression de la foi elle-même, car celle-ci reste et restera toujours une question intérieure, personnelle, intime, une aventure avec soi-même que fondamentalement il reste d’ailleurs bien difficile de partager avec les autres. Accorder aux rites un rôle plus personnel me semblerait aujourd’hui être une démarche qui détruit la foi intérieure en ce qu’ainsi on la détourne et on l’affaiblit en faisant porter son attention sur des éléments que l’on « sursacralise », si je puis oser ce néologisme. On donne à des aspects extérieurs, l’importance de ce que l’on devrait porter à l’intérieur, et c’est là où l’on affaiblit la foi.
En d’autres termes, la seule fonction qui reste aux rites, selon moi, est de poser des marques que les pratiquants reconnaissent, qui leur balisent le chemin, facilitent sans doute un peu certaines démarches pour avancer dans leur foi ; et également qui permettent de construire une communauté, celle-ci s’attribuant, à travers les rites, une identité, qui va lui permettre par la suite de se retrouver. En gros, les rites comblent le vide laissé par le silence de la méditation intérieure, voire de l’absence de méditation. Or, à l’instar de la nature, du moins c’est ce qu’on dit, l’homme a horreur du vide, et même de l’apparence du vide. On le voit presque en tout : nous passons notre temps à « combler ». Voilà pourquoi les rites continuent d’avoir une place aussi forte dans les religions, et qu’ils restent souvent le principal repère servant aux fidèles pour jauger du niveau d’ancrage de leur foi (donc en négation même de ce qu’est réellement la foi).
Mais voilà, il y a bien sûr une limite très forte à toute cette argumentation que je viens de développer. C’est qu’elle n’est que le fait d’un profane. Et qu’en tant que tel, mon expérience des rites n’a quasiment aucune chance d’être similaire à celle des croyants. Les sentiments que j’ai lorsque je rentre dans une église, ou lorsque commence un homélie, ne peuvent pas être les mêmes que les leurs. Ainsi l’espace et le temps sacrés n’ont pas pour moi la même valeur, ni le même sens.
La lecture du livre Le sacré et le profane, de Mircéa Eliade, donne un éclairage intéressant à ce point de la réflexion. En effet, on y découvre, essentiellement au travers de l’analyse des sociétés primitives, quel sens les rites revêtent pour l’homme religieux.
On apprend notamment, que non seulement les rites ont bel et bien un sens profond dans la pratique religieuse, et sont donc bien loin de la description d’actes creux que j’ai fait précédemment, mais même que c’est en quelque sorte, à travers eux que l’homme religieux parvient à réellement fonder le monde et à lui donner un sens. En effet, pour l’homme religieux, le temps et l’espace ne sont pas homogènes, continus et lisses. Ils sont au contraire hétérogènes, discontinus, parcellisés, composés par parties, dont chacune à une valeur, et donc un sens qui lui est propre.
Ainsi, Mircea Eliade écrit à propos de l’espace sacré :
"La manifestation du sacré fonde ontologiquement le monde. Dans l’étendue homogène et infinie, où aucune orientation ne peut s’effectuer, la hiérophanie [NDA : manifestation du sacré] révèle un « point fixe » absolu, un « Centre »."
Et un peu plus loin :
" La révélation de l’espace sacré a une valeur existentielle pour l’homme religieux." Il en va de même pour le temps sacré.
Or, et c’est une évidence, l’espace et le temps ne deviennent sacrés, et donc n’acquièrent cette valeur existentielle, qu’en étant consacrés par l’homme. Et cette consécration se fait toujours, à travers la réactualisation d’une hiérophanie originelle, dans la répétition des actes des Dieux (ou du Dieu), c’est-à-dire dans l’exécution d’un rite. Tout rite, est la répétition d’une cosmogonie, d’un acte, ou d’un ensemble d’actes, qui originellement, ou dans les mythes religieux, ont participé à la création du monde. Ils constituent les formes de la recréation du Monde réel, différencié du chaos par son caractère sacré.
" La révélation d’un espace sacré permet d’obtenir un « point fixe », de s’orienter dans l’homogénéité chaotique, de « fonder le Monde » et de vivre réellement." Ecrit encore Eliade.
On voit bien ici que précisément, ce sens que je percevais absent dans la démarche du rite, est en fait quasiment créé au travers des rites, car ceux-ci identifient le Monde réel et le sépare du chaos en traçant eux-mêmes les lignes de la discontinuité.
Pour enfoncer le clou, Mircea Eliade rajoute encore plus loin :
"Ce qui caractérise les sociétés traditionnelles, c’est l’opposition qu’elles sous-entendent entre leur territoire habité et l’espace inconnu et indéterminé qui l’entoure : le premier, c’est le « Monde » (plus précisément : « notre monde »), le Cosmos ; le reste, ce n’est plus un Cosmos, mais une sorte d’ « autre monde », un espace étranger, chaotique, peuplé de larves, de démons, d’ « étrangers » (assimilés, d’ailleurs, aux démons et aux fantômes)." Voilà qui ouvre une réflexion très intéressante sur les sources de notre rejet de l’étranger.
Bien sûr, l’analyse d’Eliade concerne en premier lieu les sociétés dites primitives. Mais la nature des traditions et des rites religieux est de se transmettre, et donc de perdurer. Ainsi, aujourd’hui, on peut dire, toujours avec Eliade, que chez l’homme religieux moderne "quelque chose de la conception traditionnelle du Monde se prolonge encore dans son comportement, bien qu’il ne soit pas toujours conscient de cet héritage."
Mieux encore, il est amusant de constater que l’homme profane lui-même en perpétue une partie, notamment en adoptant le rythme du calendrier religieux, et que parfois même il procède à une consécration à des éléments auxquels il n’accorde pourtant qu’une valeur profane. Il en va ainsi de sa maison, qui faisait dans les sociétés primitives l’objet de rites de sacralisation particulièrement lourds de sens, et pour laquelle il continue aujourd’hui à pendre la crémaillère. Il ne s’agit pas exactement d’un rite (les rites ayant par définition trait au sacré), mais plutôt d’un rituel, qui rempli quasiment la même fonction ontologique pour l’homme profane que le rite de consécration de son habitation par l’homme religieux. Ainsi, on pourrait citer d’autres exemples similaires, et on s’apercevrait que l’homme profane à lui aussi segmenté le temps et l’espace qui l’entourent, et les a rendu discontinus et hétérogènes.
Mircéa Eliade rend bien compte de cet aspect dans son livre lorsqu’il écrit:
"Et pourtant, dans cette expérience de l’espace profane, continuent d’intervenir des valeurs qui rappellent plus ou moins la non-homogénéité qui caractérise l’expérience religieuse de l’espace. Il subsiste des endroits privilégiés, qualitativement différents des autres : le paysage natal, le site des premiers amours, ou une rue ou un coin de la première ville étrangère visitée dans la jeunesse. Tous ces lieux gardent, même pour l’homme le plus franchement non-religieux, une qualité exceptionnelle, « unique » : ce sont les « lieux saints » de son Univers privé, comme si cet être religieux avait eu la révélation d’une autre réalité que celle à laquelle il participe par son existence quotidienne."
Arrivé à ce stade de la réflexion, qui reste d’ailleurs une simple esquisse bien que ce billet soit déjà long, je m’aperçois qu’on pourrait m’opposer une critique. C’est que le sens que l’homme religieux donne aux rites n’est que subjectif et qu’en aucun cas il ne permet de dire que le rite à un sens en soi, objectif. En d’autres termes, que ce sens n’existe guère que dans l’imaginaire religieux et n’a donc pas de réalité concrète. Cette lecture m’arrangerait et me permettrait de sortir du débat en ayant l’impression que finalement c’est bien moi qui avait raison (au-delà de cette petite ironie contre moi-même, j’espère que sur un tel sujet, vous mesurez bien à quel point ce concept « d’avoir raison » est ridicule), mais pourtant je crois qu’on ferait fausse route en raisonnant ainsi.
Car il m’apparaîtrait totalement illusoire, et pour tout dire même paradoxal, de prétendre définir et encore moins trouver quel sens « objectif » peuvent bien avoir des éléments dont la dimension est principalement existentielle et ontologique. Précisément c’est bien le propre de ce qui est existentiel d’être subjectif, lié à l’homme et à ses particularismes. Chercher ce qui, dans l’expérience religieuse, relève d’une réalité objective me semblerait donc être tout à fait hors de propos. Ce serait ne pas comprendre ce qu’est une croyance et vouloir lui appliquer des méthodes de réflexion qui lui sont inadaptées.
Voilà, c’est tout pour aujourd’hui. Mais ma lecture n’est pas finie (bien que le livre soit plutôt petit) et il n’est pas impossible que je revienne plus tard sur ce sujet ou quelque chose de périphérique. J’espère seulement que vous ne vous êtes pas endormis trop tôt en lisant ce texte.
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17/05/2006
Enquête du CEVIPOF - quelques points importants
Regardant hier soir une partie de l'émission France Europe Express, mon attention a été fortement retenue par l'annonce des résultats de l'enquête du CEVIPOF, ou devrais-je dire, du Baromètre Politique Français (2006-2007) CEVIPOF-Ministère de l'Intérieur. Cette enquête est disponible sur Internet, vous la trouverez ici, et Vérel y a déjà consacré avant moi un billet.
Je reviens tout de même dessus, pour complèter certaines informations bien relevées par Vérel. Pour ce faire, je prends les principaux résultats de l'enquête dans l'ordre où ils apparaissent, et y ajoute mes commentaires personnels (je ne reprends pas tout, sinon vous verrez trop que ce billet n''est qu'un plagiat facile, ça ferait désordre).
Les préoccupations des français
Sans aucune surprise, c'est la question du l'emploi qui arrive en tête, et largement devant le reste, avec 38% de sondés qui déclarent que c'est leur principale préoccupation. Notons que sur cette question, le sujet de l'insécurité n'est retenu comme primordial que par 6% des sondés, et celui de l'immigration par 5% uniquement.
La situation personnelle
Une courte majorité déclare s'en sortir difficilement avec ses revenus. Je note sur cette question qu'un pourcentage identique de 42% de sondés dit s'en sortir difficilement et facilement (les réponses possibles étant: trés difficilement, difficilement, facilement, très difficilement). Je ne suis pas sûr que l'on puisse extraire grand chose de cette parité. En revanche les réponses glanées aux extrêmes (très difficilement et très facilement) sont intéressantes. Ils sont 12% à estimer qu'ils s'en sortent très difficilement contre 4% qui disent s'en sortir très facilement. Il serait intéressant sur ce point de connaître l'évolution de ce sentiment, par exemple depuis 5 ans. Je trouve tout de même que 12% de foyers à s'en sortir très difficilement avec leurs revenus est une marque élevée.
Sur la question des chances de réussite des jeunes par rapport à leurs parents, le résultat est sans appel. 76% estiment que les jeunes d'aujourd'hui sont moins bien lottis que leurs parents. Ce résultat me semble très important, du fait de l'ampleur du pessimisme qu'il démontre, sur une question qui en dit long sur la vision que l'on a de son pays et sur l'évolution qu'on lui prédit.
Les valeurs
On trouve quelques résultats très intéressants dans cette rubrique, dont certains sembleront peut-être un peu contradictoires . Tout d'abord 65% des sondés se déclarent favorables au droit de vote des étrangers résidants en France lors des élections municipales (je me serais attendu à moins). Mais 53% estiment qu'il y a trop d'immigrés en France. Je vois clairement là le résultat de la communication politique de certains sur le sujet du droit de vote des étrangers. Mais on peut se demander si le 65% n'est pas inspiré par de simples déclarations d'intention qui ne seraient guères suivies dans les actes le jour d'un référendum sur la question. Je note enfin que "seulement" 40% des sondés indiquent qu'"on ne se sent en sécurité nulle part". Mais quelle curieuse formulation pour évoquer la question de l'insécurité. Elle me semble exclure un grand nombre de réponses qui feraient état d'un sentiment d'insécurité, qui n'apparaissent pas ici, parce que tout de même, dire qu'on n'est plus en sécurité nulle part est pour le moins extrême (mon seulement est donc un peu ironique).
Sur les questions à orientation plus économiques, on note une tendance vers plus de libéralisme, puisque 63% déclarent que les entreprises devraient avoir plus de libertés, et 58% pensent que les chômeurs pourraient trouver du travail s'ils le voulaient, une idée qu'on trouve plutôt dans la bouche des libéraux. Pour moi ces points montrent avant tout que la politique française est sans doute moins prise en otage par les idées d'extrême gauche que ce que l'on nous dit souvent. On peut rapprocher ces résultats de celui glané dans la rubrique Déclin, ouverture, modèle où l'on voit que 54% des sondés pensent que le chômage pourrait être réduit par une plus grande flexibilité du marché du travail.
Un dernier point concernant l'opinion sur la peine de mort. Heureusement, une large majorité (62%) s'y déclare défavorable. Mais je remarque tout de même qu'il reste 19% de la population à estimer qu'il serati tout à fait bon de la rétablir. C'est 19% de trop.
L'implication dans le débat public
Deux résultats intéressants dans cette rubrique: d'abord le degré d'intérêt exprimé pour la politique. Les résultats sont partagés, avec une petite majorité qui expriment plutôt un désintérêt (56%). Nous ne serions que 12% à nous y intéresser beaucoup, ce qui me semble très faible. Pour tout dire, ce résultat me semble franchement inquiétant. Et il présage de futurs taux d'abstention qui sont des signes forts d'affaiblissement démocratiques. Sur ce point, pour une réflexion sur la question Faut-il s'intéresser à la politique, je me permets de vous renvoyer à un de mes premiers billets sur ce blog.
Le deuxième résulat qui concerne la participation aux élections, est un peu surprenant, ainsi que le note très bien Vérel. En effet, 87% des sondés déclarent avoir voté à toutes ou presque toutes les élections depuis qu'ils ont le droit de vote. Quand on sait que le taux d'abstention est très régulièrement supérieur à 20% (même au deuxième tour de 2002, alors que la participation était record), on est en droit de lever le sourcil quant à la crédibilité de ces réponses.
Enfin dernière chose, la confiance accordée aux différents médias d'information. A ma grande surprise, c'est la télévision qui remporte la palme, loin devant tous les autres, avec 44% de sondés qui déclarent lui accorder leur confiance. La presse écrite remporte, seulement, 20% des suffrages, et Internet est quasiment dernier, avec seulement 4% de sondés qui préfèrent ce média aux autres. Evidemment, voilà qui est de nature à remettre en cause de façon forte l'idée répandue dans la blogosphère (hors skyblog s'entend), que les blogs pourraient progressivement supplanter la presse. En tout cas, ça me semble indiquer assez clairement que le buzz sur ce sujet n'est que l'affaire d'un microcosme.
L'action politique et la confiance
On y constate que l'opinion sur l'action du gouvernement actuel lui est largement défavorable, comme on pouvait s'y attendre, mais toutefois pas autant que ce que la dégringolade de la côte de Villepin aurait pu faire anticiper. "Seulement" 64% des sondés ont une opinion négative de l'action du gouvernement. Si on m'avait demandé un pronostic, j'aurais plutôt dit entre 70% et 80%.
Concernant l'évolution perçue du chômage, il est très intéressant de constater que la balance penche nettement du côté de ceux qui estiment que le chômage a augmenté, allant en cela à l'inverse des courbes indiquées chaque mois par le gouvernement (exception faite de janvier). Malheureusement pour celui-ci, ses efforts ne sont donc pas reconnus, et on peut y voir un indice de plus de son incapacité à communiquer efficacement sur son action. Le problème pour lui, c'est que le noeud de la tactique politique est là.
Viennent ensuite deux résultats, qui sont à mon sens les plus importants et les plus frappants de l'étude. En effet, 74% des sondés expriment un avis pessimiste sur l'évolution économique du pays, chiffre absolument énorme, à mettre en parallèle avec les 76% qui exprimaient une opinion sombre sur les chances des jeunes comparées à celles de leurs parents. Et 69% indiquent qu'ils ne feraient confiance ni à la droite ni à la gauche pour gouverner le pays, chiffre encore considérable, qui marque très nettement le divorce des citoyens avec la politique, et qui constitue à mon sens le plus gros défi à relever dans les années à venir, si nous ne voulons pas que la démocratie dans notre pays ne soit plus qu'un titre sans substance. On peut rapprocher de ce résultat, celui obtenu par l'enquête dans sa dernière rubrique (L'orientation politique) où le plus grand nombre de sondés (37%) déclarent n'être ni à gauche, ni à droite.
Déclin, ouverture, modèle
On retrouve ici, sans surprise, une majorité de personnes qui estiment que la France est aujourd'hui en déclin. Toutefois, je suis surpris que la proportion exprimant cet avis (52%) ne soit pas plus proche de celle qui évoque son pessimisme quant à l'évolution économique du pays. Cela voudrait-il dire que certains éléments non économiques contre-balancent de façon importante la marasme sur l'économie ? Si l'on en croit le résultat détaillé, qui suit, il est permi d'en douter. Quasiment tous les points présentés sont dans le rouge selon, les sondés: pouvoir d'achat, école, système de santé, compétitivité, solidarité dans la société et influence de la France dans le monde. Seul la recherche et l'innovation (???) et le rayonnement culturel (???) apparaissent aux sondés comme étant en progrès.
La suite continue d'étonner. En effet, 43% des sondés estiment que la France devrait s'ouvrir d'avantage au monde d'aujourd'hui. On se souvient pourtant qu'ils étaient 53% à penser qu'il y avait trop d'immigrés. Et on découvre plus loin qu'ils sont 46% à estimer que la mondialisation est un danger pour la France, parce qu'elle menace ses entreprises et son modèle social, contre seulement 24% qui pensent que c'est une chance. On voit même de façon plus détaillée dans le tableau qui suit que la mobilité croissante des travailleurs au sein de l'UE est perçue comme un danger, ainsi que celle des individus en général. On peut raisonnablement se demander s'il reste vraiment une possiblité d'ouverture à notre pays, s'il doit rejeter les étrangers et la mondialisation.
Là encore, les réponses données me semblent très clairement indiquer qu'on en reste à de pures (et présumées nobles) déclarations d'intention, mais que dès qu'il s'agit de les mettre en oeuvre tout le monde disparaît. C'est encore un peu plus clair au travers de la réponse donnée à l'opinion concernant le mélange des cultures, où 35% des sondés répondent que c'est une chance contre 30% qui répondent que c'est un danger. On voit bien que dès qu'on sort les mots nobles, les réponses deviennent plus favorables. Mais le paradoxe soulevé par ces réponses contradictoires est bien que dès qu'il s'agit concrètement d'agir pour donner corps aux belles idées, il ne reste malheureusement plus grand monde.
Dernier point sur l'UE. La construction européenne apparaît encore comme un danger pour la France, pour 41% des sondés, alors que seulement 27% estiment qu'elle représente une chance. On voit là le prolongement du vote du 29 mai 2005. Il apparaît très ancré, et le travail à réaliser pour inverser la tendance est sans doute considérable.
L'image des personnalités politiques
Où l'on découvre enfin une évaluation du potentiel des différents candidats potentiel lors du premier tour de l'élection présidentielle. Sans surprise, Sarkozy et Royal sont devant, avec respectivement 46% et 45% de sondés qui déclarent probable qu'ils votent pour eux (attention, le total excède largement les 100%, les sondés ayant dû indiquer pour chaque candidat s'il existait une probabilité qu'ils votent pour lui). Fabius est clairement out (il est même le dernier dans le classement du côté socialiste), Villepin, avec 25%, obtient un score en relation avec sa côte de popularité actuelle, et (agréable) surprise, Le Pen est plutôt loin, avec un score de seulement 17%, et surtout 76% qui déclarent qu'il n'est pas probable du tout qu'ils votent pour lui, le plus mauvais score de tous les candidats présentés. Notons d'ailleurs, qu'à la question "quelle est la personnalité à qui l'on fait le plus confiance pour protéger la France du mond d'aujourd'hui, Sarkozy a battu tout le monde à plate couture, avec 34%, loin devant Ségolène Royal qui n'obtient là que 12%. Ce résultat, mis en relation avec le score timide de Le Pen relevé ci-dessus, me semble montrer assez clairement que la stratégie de Sarkozy d'aller chercher les électeurs FN fonctionne bel et bien. Enfin, pour en terminer avec Le Pen, les résulats de la question qui évoque les traits d'image qu'on lui associent me semblent également éloquents. Les deux principaux traits relevés sont qu'il inquiète et qu'il met en colère (respectivement à 65% et à 56%, moi ça me semble encore trop faible...), et 70% estiment qu'il n'est pas honnête, et 79% qu'il n'est pas sympathique. A lire cette enquête, Le Pen semble bien plus faible que ce que les péripéties actuelles des hommes en place pourrait laisser craindre.
Une dernière chose sur les traits de caractère étudiés. A mon sens, le principal, celui qui joue le plus lors de l'élection présidentielle, est celui de la stature de la personne, ce qui en fait à nos yeux, un candidat qui a véritablement les épaules d'un chef d'état. En France, je crois que nous cherchons avant tout un homme (voire un surfer d'argent), plus qu'un programme, lors des élections présidentielles. C'est ce qui fausse une grande partie des sondages qu'on nous rabat à longueur de temps. Or sur ce critère, C'est Sarkozy qui arrive en tête, avec un score de 55%, devant Ségolène Royal, qui obtient ici 50%. Le plus mauvais est Le Pen, qui ne totalise que 14% de réponses favorables sur ce point.
Quelques conclusions personnelles
Pour moi le résultat le plus marquant et qui devrait le plus retenir l'attention des politiques et des analystes est celui qui marque le divorce des français avec la politique. Plus des deux tiers qui estiment que ni la gauche ni la droite ne peut répondre à leurs attentes, le plus grand parti de France restant probablement celui des dégoutés. Ce résultat est clairement à mettre en relation avec le pessimisme exprimé quant à l'évolution du pays.
Une deuxième chose, sur la propension des sondés, que je crois largement représentative d'une certaine réalité de notre pays, à se positionner de façon favorable dès que l'on évoque quelques grandes valeurs nobles (la culture, l'ouverture), mais à refermer aussitôt la coquille lorsque sont évoquées certaines des méthodes concrètes qui peuvent traduire ces valeurs dans les faits. Je pense en fait que sur ce point, il y a un manque de courage politique pour expliquer sans faux-semblant quels sont les conséquences et les implications de certains choix, afin que les opinions exprimées le soient plus en connaissance de cause.
Les données du BPF 2006-2007 ont été produites par le CEVIPOF avec le soutien du Ministère de l'Intérieur et de l'Aménagement du Territoire. Le BPF 2006-2007 se déroule en 4 vagues de mars 2006 à janvier 2007 réalisées par l'IFOP. Les données seront également déposées et disponibles auprès du Centre de données socio-politiques de Sciences-Po au printemps 2007.
12:35 Publié dans Un peu d'actualité et de politique | Lien permanent | Commentaires (6) | Facebook |
12/05/2006
La conquête du monde a commencé au Soufflot, autour d'un steak frite.
Malheureusement dans l'incapacité de produire le billet que j'avais promis concernant les rites et les rituels, je vais faire comme quelques-uns de mes petits camarades de lieu-commun, et vous raconter un peu notre dîner de mercredi soir.
Evidemment l'objectif de cette rencontre était avant tout d'établir notre plan d'attaque pour nous rendre maîtres du monde (oui, finalement nous avons décidé de ne pas nous arrêter aux frontières hexagonales, on en voit d'ailleurs déjà un indice dans la participation d'Emmanuel à AFOE).
En arrivant j'ai d'abord vu François du Swissroll, Jules (futur guide des maîtres du monde), et Grom, qui n'est effectivement resté que 4 secondes 3 dixièmes après que je sois arrivé. Puis est arrivé AD d'Econoclaste, dans ce qu'il nous a dit être une tenue d'économosiste (jean-casquette). Personnellement j'étais assez déçu car il nous avait promis de venir avec un arosoir et un jambon pour qu'on le reconnaisse. Le jean-casquette, c'est sympa, mais moins cocasse.
Ensuite, l'ensemble de la bande a finie par arriver, à l'exception notable de quelques-uns, dont l'autre François qui avait pourtant promis de faire un tour. S'ensuivirent de sympathiques discussions. Tout à ma droite, un groupe composé de Hugues, Versac, Emmanuel et du premier François refaisait le monde sur un sujet que je n'ai absolument pas suivi. Devant moi, Jules et Eolas refaisait le droit. Et à ma gauche nous avons discuté de choses variées, de politique, de l'avenir du PS, de l'absence d'une véritable droite libérale conservatrice en France et sans doute aussi de blogs.
J'ai pour ma part un peu tourné la tête des deux côtés pour tenter de suivre un peu tout ce qui se disait, en vain évidemment. Mais il semblerait que dans un moment de flottement dont je ne me souviens pas, j'ai fait des promesses fracassantes concernant le contenu à venir de mon blog. Etant donnée ma capacité à tenir la promesse de cette semaine, il n'est toutefois pas déraisonnable de rester sceptique face aux révélations de Vérel.
Ah oui, une dernière chose. Si vous commandez la planche Soufflot, insistez bien sur la cuisson de la viande, afin qu'on ne vous serve pas un steak saignant au lieu d'un steak a point.
17:35 Publié dans Un peu du nombril des blogs | Lien permanent | Commentaires (5) | Facebook |
09/05/2006
Une année encore utile ?
Utile : adj. des deux genres. Qui est profitable, avantageux, qui sert à quelque chose (définition du dictionnaire N°8 de l’académie française).
Il nous a été dit, de façon insistante et répétée, par des personnages qui, à priori, exercent ce qu’on appelle le pouvoir, ou tout du moins une partie de celui-ci (mais de mauvaises langues chuchotent que le pouvoir, en ayant assez de ne pas savoir qui le détient vraiment, envisagerait un exil en Terre de feu), que l’année 2006 ne serait pas sacrifiée et transformée en campagne présidentielle avant l’heure, mais qu’elle serait au contraire une « année utile ». Bref, que ce serait une année profitable, avantageuse, qui servirait à quelque chose.
Aujourd’hui, 4 mois de cette année 2006 ont déjà passé (trop vite d’ailleurs à mon goût), et un je-ne-sais-quoi de mal défini me titille les orteils, et me fait lever le sourcil soupçonneux du béotien taraudé par le doute. Est-on parvenu à laisser la campagne présidentielle de côté, là où elle devrait rester tant que les candidats ne sont pas déclarés ? Ces 4 mois passés ont-ils été profitables et avantageux ?
Sur la première question, il semble bien évident qu’on a déjà largement entamé les préliminaires. Quasiment tout y contribue. Les candidats, clairement déclarés ou seulement candidats à la candidature, qui rivalisent de mots assassins, de postures, et d’opérations de communications ; les médias, toujours plus pressés de nous sortir le dernier sondage « Sarko-Ségo au second tour, vous votez pour qui ? » (alors que le seul sondage vaguement intéressant est bien entendu celui de premier tour, incluant l’extrême droite et l’extrême gauche) et d’interpréter les gestes des uns et des autres en termes présidentiels, que de fournir des analyses de fond sur les sujets en cours ; jusqu’à nous dont l’impatience va croissante au fur et à mesure que notre cher Président enterre ce qu’il nous reste de projets politiques et d’institutions pour les porter.
Concernant les médias, je trouve vraiment qu’ils jouent une partition très critiquable. Leur propension à tout interpréter en terme de campagne présidentielle et de jeu de pouvoir participe très largement à l’appauvrissement du débat, car elle occulte le fond des sujets pour ne plus s’intéresser qu’à la forme. Bien sûr qu’il y a des jeux de pouvoirs, des rivalités, des coups que les uns veulent porter aux autres. Mais ce n’est pas le rôle premier des médias que de s’intéresser à ces micro-évènements. L’information, ce n’est pas ça. Et en agissant ainsi ils contribuent largement à enfermer les diverses personnalités politiques dans ces comportements, qui ne peuvent que s’empresser de confirmer ou d’infirmer tel ou tel article, telle ou telle impression laissée à la télé, etc.
On établit toujours plus ou moins son comportement en fonction de ce que l’autre nous renvoit de nous-même. Il y a un côté mécanique à cela qui est inévitable. En se situant systématiquement sur le terrain de la campagne présidentielle, les médias forcent en partie les politiques à faire de même, alors que ceux-ci restent officiellement dans une position qui les oblige en même temps à ne rien laisser paraître. Et ainsi on assiste à des jeux de dupes atterrants entre journalistes et politiques, où les premiers posant systématiquement leurs questions en terme de jeu de pouvoir, les seconds se trouvent obligés de nous servir des réponses emberlificotées à base de langue de bois. Les médias ne se privent pourtant pas ensuite de critiquer le comportement des politiques. Mais qu’ils nettoient devant chez eux et réalisent à quel point il participe du processus qu’ils critiquent !
Ensuite, sur l’impatience qui est probablement celle de beaucoup d’entre nous. Je crois en fait qu’elle est la principale conséquence du 21 avril 2001 2002 (andouille que je suis!). Le quinquennat qui s’achève en est resté marqué parce que la politique qui a été menée durant ces 5 années, personne n’avait votée pour elle, ou en tout cas il est impossible de dire qui et dans quelle proportion. On s’est retrouvé dans une situation « bâtarde » si je peux oser le terme, mal définie. On avait barré la route à l’extrême droite, l’indispensable était fait, mais l’essentiel restait à réaliser, et on ne savait pas par quel bout le prendre. Les élections de 2007 ont donc ce rôle de définitivement clore la page de l’indétermination qui a prévalu pendant le quinquennat, et en quelque sorte de nous « laver » définitivement de ce qui est arrivé en 2001. Etant donnée l’incapacité de Chirac à fixer un vrai cap et à utiliser les énergies qui étaient réelles au soir de sa réélection, il n’est pas illégitime que l’impatience à tourner la page soit grande.
Sur le fait que ces 4 mois aient été profitables et avantageux, la réponse est courte je crois : non. La crise du CPE a réuni à peu près tous les défauts imaginables : mesurette sans vrai projet, incapacité à communiquer convenablement, pantalonnade abracadabrantesque en guise de sortie. Franchement, autant de talents révélés en une seule opération, ça relève du grand art. Et l’affaire Clearstream ne fait qu’enfoncer un peu plus un gouvernement à l’agonie, qui enchaîne les ratés comme on enfile des perles, et qui un peu plus chaque jour, éloigne les citoyens de la politique, alors que la toute première mission qui incombait à Chirac après sa réélection était au contraire de les en réconcilier.
Sur ce dernier point d’ailleurs, je ne partage pas du tout la conclusion faite par Paxatagore dans son billet sur l’emballement médiatique autour d’une éventuelle démissions de Villepin. Paxa écrit : « Le véritable problème ne me semble pas être que Dominique de Villepin ait cherché à déstabiliser Nicolas Sarkozy. C'est le propre du combat politique. Ceux qui font mine de le découvrir sont d'angéliques nouveaux nés. » Le cynisme semble faire ici office d’intelligence pour rabattre les propos scandalisés émis par certains devant cette barbouzerie. Certes il est souvent de bon ton de montrer qu’on n’est pas un naïf devant les évènements du monde, mais dans le cas de l’espèce, je ne vois pas bien sous quel prétexte il faudrait trouver qu’une tentative de manipulation est une chose normale et excusable. Qu’un type de comportement ait court de façon récurrente ne signifie évidemment pas qu’il est acceptable. La corruption aussi à court dans beaucoup de pays. Estime-t-on pour autant qu’il faut laisser faire parce que c’est comme ça depuis que le monde est monde et qu’on serait trop naïf de faire mine de s’en apercevoir maintenant ? Non.
Evidemment, il faut laisser la justice faire son travail et déterminer qui est responsable de quoi dans ce mic-mac. Mais tout de même, ça commence à faire pas mal de gros couacs, en l’espace d’assez peu de temps. Et il n’est pas tout à fait déraisonnable de se demander comment Villepin peut maintenant faire pour mener une action politique efficace, profitable, avantageuse, qui serve à quelque chose… utile quoi.
P.S: (Si vous êtes sympas, je posterai cette semaine un autre billet, que j’espère plus intéressant que ce café du commerce, sur le sujet des rites et des rituels. On y découvrira notamment un peu le travail de Mircéa Eliade.)
15:05 Publié dans Un peu d'actualité et de politique | Lien permanent | Commentaires (10) | Facebook |
01/05/2006
Tout, tout de suite !
Dans la rue, un marchant a sorti un étalage spécial où il vend des glaces de toutes sortes : chocolat, vanille, pistache, melon, mangue, café, orange, cookies, etc. Il y a tant de parfums qu’on ne sait où donner de la tête. Mieux encore, de multiples garnitures complémentaires sont suggérées pour accompagner ces glaces, augmentant le choix, déjà conséquent, qui s’offre aux clients.
Un petit garçon tenant sa maman par la main admire, l’air rêveur, le superbe étalage qui arbore ces mille délices.
- Maman, tu m’offres une glace ?
- Ah non mon chéri, on vient tout juste de sortir de table, et tu as pris deux fois du dessert.
- Maman, je veux une glace ! S’il te plaît !
- Ecoute, d’abord on se promène, et si tu es sage, je t’en achèterai peut-être une toute à l’heure.
- Non, je la veux tout de suite !
La mère, voyant qu’elle risque d’en être quitte pour une nouvelle bataille avec sa tendre progéniture, cède.
- Bon, tu veux quel parfum alors ?
- Je veux la plus grosse glace, avec 4 boules de parfums différents, et avec dessus de la chantilly et des copeaux de chocolat !
Cette scène, je ne l’ai pas vue pendant ce nouveau week-end pluvieux et occupé à mes travaux. Mais on l’imagine aisément, et sans doute y avons-nous tous plus ou moins assisté dans nos vies, d’autant qu’il en existe de nombreuses variantes. Le caprice que je décris répond à une tendance, une forme de volonté, qui est extrêmement répandue, et même oserais-je dire, que nous avons tous quelque part en nous, plus ou moins savamment cachée. Nous voulons tout, et tout de suite.
C’est d’abord un caractère éminemment enfantin. C’est lui qui est la source des caprices et des impatiences d’enfants. Mais on aurait tort d’imaginer que seuls les enfants en sont les porteurs. Nous autres adultes agissons bien souvent selon ses préceptes et cela prend une variété de formes qui nous étonnerait sans doute si l’on prenait le temps de s’y arrêter un peu.
Car voilà, nous ne savons pas attendre, et nous ne savons pas apprécier ce qui nous est donné lorsque ça l’est de façon seulement partielle. Non, il nous faut, à nous aussi, tout, et tout de suite. Cette tendance s’observe dans quasiment tous les domaines où nous agissons : au travail, où la culture du travail à long terme a quasiment disparu, sacrifiant ainsi la qualité à la rapidité ; à table, où l’on a vu proliférer les chaînes de fast food qui réalisent très exactement ce caprice d’enfant : un menu complet, avec sandwich, frite et boisson, prêt en 1 minute chrono et englouti en 2 ; même nos relations amoureuses en sont affectées.
On le voit au travers des nouveaux moyens utilisés pour entrer en relation : Internet et les sites comme Meetic qui permettent en une seule discussion, parfois courte, de « sortir ensemble », ou bien mieux, le speed dating (10 minutes d’entretien, emballé, c’est pesé, vous m’en mettrez pour deux semaines avec celui-là s’il vous plaît), de plus en plus d’artefacts de ce genre témoignent de notre impatience et de notre invariable caprice de gosse : on veut tout, tout de suite. Le grand amour ? Le bonheur ? On les veut là, entiers, sans défaut, et maintenant, pas demain. Parce que le bonheur, ça n’attend pas.
Dans le dossier que consacre Télérama cette semaine aux changements du paysage amoureux, j’ai relevé notamment ces mots dits par un notaire qui voit passer nombres de couples dans son étude :
« Je suis souvent obligé de rappeler à mes visiteurs qu’un acte notarié, c’est comme un enfant, on ne peut l’obtenir tout de suite. Dans les deux cas, il faut du temps et des précautions. Or les gens sont toujours surpris de réaliser que la loi ne s’adapte pas en temps réel à leurs actes ou à leurs décisions. L’amour c’est chaud, la loi c’est froid. Et la quête du bonheur, elle, n’attend pas. »
Les couples se font, se défont, parfois avec une rapidité confondante alors qu’on les entendait quelques jours plus tôt jurer au ciel que ça y est, ils avaient trouvé leur âme sœur, celle qu’ils ne pourront jamais quitter. Mais au premier nuage annonçant une imperfection dans le tableau idyllique qu’ils s’étaient fait, les amants se sont disputés, et aussitôt séparés, repartant chacun chercher l’être idéal qui répondrait sans délai à toutes leurs attentes.
En politique également, le tout, tout de suite, fait des ravages. On le voit avec les sondages qui jouent le rôle d'élections avant l'heure. Ils ont beau se multiplier, se contredire les uns les autres, finirent parfois par se contredire eux-mêmes, tout le monde continue de les lire et de les commenter, parce qu’ils comblent le vide laissé par l'année entière qui va précéder les prochaines élections importantes. Cela se fait au détriment d’un vrai débat de fond sur les propositions qu’il seraient intéressant d’analyser, les chiffres donnés à gauche et à droite parvenant même par moments à phagocyter totalement tout autre type d'information pourtant autrement plus importantes. Mais des chiffres prêts à consommer répondent mieux à nos caprices que de longs débats.
Dans le même ordre d'idée, on pourra également remarquer, du moins en France, cette tendance qui semble pathologique, à toujours rejeter à la première élection venue, le pouvoir que l’on vient de mettre en place, parce que celui-ci, n’a pas pu en un si petit laps de temps répondre à toutes les attentes exprimées, et qu’il ne le pourra d’ailleurs jamais.
Nos caprices d’enfant nous rattrapent partout, et aujourd’hui peut-être encore plus qu’hier, progrès technologique aidant, passant de nos connections haut débit à nos voitures toujours plus rapides, de nos formules complètes café compris à nos forfaits tout en un, téléphone, Internet, et télévision numérique. Ces caprices, ces impatiences d’enfants qui n’ont pas encore tout à fait grandi, nous empêchent de véritablement construire nos projets. Ils nous piègent en nous enfermant dans un cercle vicieux destructeur, où l’on ne pourra jamais être satisfait. Car pour construire nos vies, bâtir des fondations solides, il faut souvent accepter de prendre du temps, de se tromper, de recommencer, de se contenter d’un bien sans vouloir un mieux.
Vouloir tout, tout de suite, c’est vouloir vivre dans un rêve éternel, où tout est acquis d’avance, et où c’est notre environnement qui s’adapte à nous et non nous qui nous adaptons à lui. C’est pour cela que c’est destructeur : parce qu’ainsi nous mettons la barre de nos exigences de vie trop haut, à un niveau inaccessible, et de surcroît en s’en remettant en quelque sorte à un destin bienfaiteur pour atteindre ces objectifs, sans chercher véritablement à utiliser nos moyens, nos capacités personnelles pour y arriver.
Pourtant, je dois confesser que cette exigence d’enfant, je la comprends un peu, et d’une certaine façon même, elle m’attendrit. Surtout dans le domaine amoureux. Parce qu’elle montre dans sa faiblesse un caractère profondément humain, une déraison dont nous sommes seuls capables, et qui contrairement à tant d’autres n’est pas fondée sur la méchanceté. Elle fait un peu parti de ces travers que nous ne saurons sans doute jamais corriger, mais qui nous définissent plus ou moins. (Que cet avis personnel que j’exprime en conclusion ne vous empêche pas de réfléchir à votre comportement personnel et à le modifier si besoin est).
Et maintenant que vous êtes arrivé à la fin de ce billet, j’exige que vous le commentiez TOUS et IMMEDIATEMENT !
23:25 Publié dans Un peu de développement personnel | Lien permanent | Commentaires (12) | Facebook |
25/04/2006
Retour sur l'inhibition de l'action
Koz a publié hier un billet intéressant qui me donne l’occasion de revenir sur la notion d’inhibition de l’action. J’ai déjà abordé cette notion en filigrane dans plusieurs de mes billets sur la gestion du stress, et de façon plutôt appuyée dans mon billet sur la gratification et la concurrence, mais je voudrais y revenir à nouveau pour préciser certains points. Sans doute y aura-t-il quelques redites par rapport à ce que j’ai pu écrire ici ou là, mais après tout, la pédagogie c’est peut-être savoir répéter les choses en partant d’angles varié.
Un des éléments qui nous guide de façon universelle est la recherche de l’équilibre, c’est-à-dire de l’équilibre intérieur. Nous avons besoin de nous sentir bien dans notre corps (en bonne santé) et bien dans notre tête (équilibre psychologique). Il en va de même chez toutes les populations, et à toutes les époques, que l'on soit européen, chinois, congolais ou kwakiutl. En effet, à chaque instant, notre organisme réagis aux stimuli qu’il subit, afin de rétablir l’équilibre que ceux-ci peuvent fragiliser. Un peu comme un funambule avançant sur une corde mince, notre corps nous informe lorsque nous penchons trop à droite ou trop à gauche pour nous permettre de rétablir la situation initiale et de continuer à avancer.
Afin d’atteindre ou de conserver cet équilibre, nous mettons en œuvre tout une batterie de moyens, certains basiques (manger, dormir), d’autres beaucoup plus élaborés (comme réfléchir – il faudra que je revienne précisément sur ce point plus tard, dans un autre billet). Tous ces moyens, pour divers qu’ils soient, reviennent en fait à réaliser le même objectif : nous procurer un plaisir qui rétablit un équilibre perdu ou insuffisant. Par exemple quand j’ai faim, le ventre me tenaille et me fait un peu mal, j’ai alors besoin de stopper cette souffrance en m’alimentant, ce qui va me faire retrouver l’état d’équilibre dans lequel j’étais avant d’avoir faim (le fait que la nourriture soit bonne est un détail en fait, disons que si elle l’est, c’est un plaisir rajouté).
Ces plaisirs que nous recherchons, ce sont les fameuses gratifications dont j’ai parlé de façon plus précise dans le billet indiqué plus haut. C’est par l’obtention de ces gratifications que nous pouvons parvenir à conserver notre équilibre biologique (corporel et psychologique). Si l’on ne parvient pas à les obtenir, on se trouve alors constamment en situation de déséquilibre, de manque, et cela peut conduire à des dégradations importantes du comportement et/ou de la santé.
Or, dans la situation de concurrence inévitable créée par la recherche des gratifications, ce que les hommes ont trouvé de mieux pour s’assurer leur obtention c’est le pouvoir. C’est par le pouvoir que l’on parvient à se tailler une part plus grande de gratifications. Plus on a de pouvoir, plus on peut obtenir de gratifications, plus on peut se faire plaisir et, au-delà de la seule réponse à nos besoins, plus on peut répondre à nos pulsions orientées vers le plaisir.
Et inversement, moins on n’a de pouvoir, moins on peut obtenir de gratification et ainsi satisfaire ses besoins et ses envies. On est alors dans l’inhibition de l’action, c’est-à-dire dans l’incapacité d’agir nous-même pour obtenir nos gratifications. Cette situation met les personnes concernées dans une situation difficile à supporter, d’autant qu’elle s’accompagne souvent d’un sentiment d’injustice porté par la question: « pourquoi moi plutôt qu’un autre ? ». Mais étant faits comme les autres, ceux-là qui ont peu de pouvoir n’en ont pas moins de besoins et de désir que les « puissants ».
Il va donc leur falloir trouver des moyens dérivés pour parvenir à leurs fins. Des voies par lesquels ces personnes qui n’ont que trop peu de possibilités de se satisfaire vont pouvoir rétablir une forme d’équilibre, soit intérieur (un vrai équilibre donc, un équilibre objectif), soit vis-à-vis des supposés « puissants » (un semblant d’équilibre, un équilibre relatif – i.e comparé à celui des autres) Et l’un de ces moyens, c’est la violence. Celle-ci agit je crois selon deux axes : d’abord elle peut permettre de prendre le pouvoir, et donc d’atteindre un équilibre objectif, et ensuite, en privant les autres de leurs gratifications, elle réalise une forme de « justice », via un nivellement par le bas. « Je suis malheureux, peut-être, mais les autres aussi. Du coup je me sens mieux. »
On me rétorquera, et avec une certaine raison, que toutes les personnes appartenant aux couches sociales défavorisées n’ont pas recours à la violence. Certes. Mais je répondrai que ce n’est qu’en vertu du fait que le recours à la violence engendrerait pour elles un déséquilibre encore plus fort, né de ce que celui-ci entrera en conflit direct avec leurs valeurs. Mais le jour où le déséquilibre social surpassera le déséquilibre qui naîtrait par la violence, alors ces personnes risquent fort d’avoir recours à la violence (qu’on pense seulement à une personne sans le sou qui en est réduite à voler. Humainement, sommes-nous nombreux à l’en blâmer ? Et pourtant elle use bien d’une méthode violente).
En d’autres termes, la situation d’inhibition de l’action est un facteur qui accroît, et de façon très importante !, le risque d’un recours à la violence, même s’il n’est pas seul à l’expliquer.
Voilà qui éclaire, en tout cas je l’espère, avec quelques précisions l’interrogation de Koz sur son blog. Le problème n’est pas tant la peur de l’inéluctable que la difficulté pour certaines catégories de personnes de satisfaire, comme le font tous les autres, leurs besoins et leurs envies. Koz a en revanche raison lorsqu’il indique que les gens ont probablement le sentiment grandissant de n’être plus que des pions dont certains usent à leur guise, et qui n’ont plus véritablement voie au chapitre.
Et on comprend aisément que la mondialisation accroît encore cette crainte. Dans un pays de 60 millions de personnes, nombreux sont déjà ceux qui estiment que leur voix ne compte pas, qu’ils ne peuvent rien changer au cours des choses (pour ma part je reste toujours sidéré du pourcentage d’abstention lors des élections, quelles qu’elles soient), alors dans un monde de 6,5 milliards d’individus… Le sentiment de dilution est immense, et avec lui, la perception d’une inhibition de l’action, d’une impossibilité d’agir et de s’exprimer autrement que vers des murs.
Je crois que c’est ce point qui constitue le principal défi et le principal intérêt de la décentralisation. En permettant aux personnes de retrouver une voix et un impact au niveau local on peut leur redonner le goût d’agir. Pour cela, il faut d’abord que la décentralisation soit réelle et que les décisions locales portent sur des points importants, soient véritablement relayées aux niveaux supérieurs, mais aussi que les mécanismes décisionnels soient plus transparents et mieux connus pour que l’on puisse sentir l’impact complet des mesures adoptées localement, et qu’on comprenne dans quel mouvement elles s’inscrivent.
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18/04/2006
Pause du langage
Il y a déjà quelques mois, Damien a produit une note très intéressante évoquant certaines pistes envisageables pour réinstaurer une situation sociale qui nous garderait de revivre les évènement de l'automne dernier dans nos chères banlieues. Au-delà des constats habituels il était effectivement bon de se pencher sur le fond des choses et de proposer une analyse précise et des solutions concrètes au problème posé.
D'autant que l'on a vu à l'occasion des manifestations contre le CPE les mêmes individus reproduire exactement les mêmes comportements, toujours aussi effrayants. La casse pour la casse, la bagarre pour la bagarre, bref la logique de chaos total à l'oeuvre. Mais ce qui inquiète surtout dans ces évènements, au-delà de leurs conséquences directes, c'est qu'ils laissent d’abord désarmés, parce qu'ils détruisent tous les fondements logiques de nos comportements habituels. On agit presque toujours en vue de quelque chose, pour atteindre un objectif.
La logique de destruction sort de ces schémas, puisque les casseurs ne rapportent aucun gain de leurs casses (si ce n'est à travers quelques vols, certes, mais je ne crois pas que la majorité agissait avec le but final de voler). Ils ont détruit, c'est tout, et personne n'y gagne au final, il n'y a pas de gratification derrière cela. C'est pour cela que cette logique inquiète tant: parce qu'elle est dans le fond parfaitement illogique et déraisonnable. Dès lors que faire pour convaincre ces personnes de changer de comportement puisque précisément elles refusent d'agir de façon raisonnable ? Quelle maîtrise peut-on prétendre avoir sur des personnes aux comportements insensés et imprévisibles?
C’est cette question qu’il faut notamment parvenir à résoudre pour trouver une solution pérenne : qu’est-ce qui peut pousser les gens à agir de telle façon ? Comment faire en sorte que ces causes disparaissent ? Damien dans son billet, abordait notamment, au milieu d’autres propositions concrètes, une idée que je crois très juste : la solution passera notamment par la maîtrise du langage, qui est une des clés de « l’embourgeoisement des barbares ».
Il doit exister des études qui démontrent une corrélation entre maîtrise du langage et réussite sociale, et sans doute également (et c’est forcément une conséquence) entre non maîtrise et dérive sociale (combien de prisonniers sont illettrés ?). Je n’ai pas encore trouvé de telles études, mais si un lecteur en connaît je suis preneur. Ensuite, il faut bien sûr préciser mieux quels sont les enjeux du langage. Ce ne sera pas encore l’objet de ce billet, mais j’indique tout de même deux idées simples qui sont à mon avis de bonnes pistes de départ :
1. La maîtrise du langage, permet la maîtrise de la pensée. La pensée, c’est le verbe, elle ne peut exister sans celui-ci. Et moins le langage est maîtrisé, plus la pensée est confuse et trouble (et vice versa). Et une pensée confuse entraîne naturellement des comportements confus. Il me semble donc très important de réhabiliter le langage et d’accorder une meilleure place au français dans les écoles, notamment en se fixant des objectifs forts concernant la maîtrise de la lecture et de l’écriture à la sortie de la primaire. Attention, je ne dis surtout pas qu’il faille formater le langage, mais l’acquisition d’un vocabulaire riche et d’une syntaxe propre me semble être des choses importantes (quoi l’orthographe ? hum, oui aussi, mais j’ai bien peur que mes pages n’en soient pas toujours le meilleur exemple…).
2. Le langage pose aussi la question de l’identité. Parce qu’il est un outil qui construit l’identité d’une personne. Mais cette construction de l’identité par le langage présente aussi le risque, simultanément en fait, d’ostraciser et d’exclure. C’est tout le sens du billet que j’avais écrit il y a plusieurs mois au sujet de l’adhésion de la Turquie dans l’UE : plus on définit une identité de manière forte, moins cette identité laisse de place à l’ouverture. Et inversement, plus les limites qui définissent une entité sont floues, « ouvertes » en quelque sorte, moins l’identité de celle-ci est précise et donc moins cette entité est identifiable (la chose a moins d’identité).
On voit bien ce schéma se construire parmi les populations des « jeunes des banlieues ». Ils se sont construit un langage qu’eux seuls pratiquent, par lequel ils se reconnaissent comme appartenant au même groupe, et qui leur permet en même temps de reconnaître ceux qui n’y appartiennent pas. En dehors de la compréhension et de la pratique de ce langage, les personnes sont rejetées. C’est un peu « casse-toi tu pues, t’es pas d’ma bande ». Pour bien s’en apercevoir il suffit d’imaginer quelqu’un utilisant un langage d’aristocrate pour établir le contact avec les autochtones de Bondy. On rigolerait. Mais lui peut-être pas longtemps. (je trace l’idée en gros là).
Le défi est donc ici de trouver comment faire en sorte que le langage ne devienne pas un outil de clivage. Je ne poursuis pas plus sur ce billet. Il faudrait consacrer un travail assez conséquent pour dégager des éléments plus intéressants. Cela demande du temps, et j’espère m’y mettre un de ces jours, mais pas tout de suite.
En effet (et c’est un peu l’explication du titre de ce billet), je risque de consacrer moins de temps à mon blog dans les semaines à venir. D’abord pour des raisons pratiques qui vont m’en éloigner un peu. Mais aussi parce que j’ai un peu besoin de reprendre un second souffle pour produire des choses convenables. Ce que j’ai proposé ici depuis mon dernier billet sur l’aide début mars m’a peu satisfait, voire très peu, et je ne crois pas intelligent de continuer si c’est pour écrire des choses sans intérêt. Personne n’y gagnerait, et vous sans doute encore moins que moi.
A moins qu’une actualité particulière ou une inspiration nouvelle ne me rappelle dans ces parages, je risque donc de me faire plus discret. J’espère toutefois que ça n’éloignera pas tout le monde de ces pages.
Add du 19.04: je suis vraiment un mufle. J'ai complètement oublié de parler du travail engagé par Aymeric sur son blog au sujet de Jean Gagnepain (que je ne connais pas). On lira certainement avec profit sa série de billets sur la linguistique.
18:10 Publié dans Un peu d'observations | Lien permanent | Commentaires (20) | Facebook |
11/04/2006
Réponse à Samantdi: l'authenticité dans la méthode ACP
Samantdi a laissé un commentaire pour le moins dubitatif sous mon dernier billet consacré à l'approche proposée par Carl Rogers dans la relation d'aide. J'ai d'abord commencé une réponse en commentaire, mais, et bien que pour l'instant le billet en question n'a attiré que peu de lecteurs, jugeant que les éléments de ma réponse étaient importants et éclaircissaient une idée que j'ai sans doute présentée de façon trop obscure, je préfère lui consacrer un billet pour leurs donner plus de lisibilité.
Pour bien répondre à Samantdi, il convient d'abord de présenter un peu Carl Rogers. C'est un psychologue américain, du XXè siècle, qui se rendit notamment célèbre dans son domaine par la création de la méthode ACP: Approche Centrée sur la Personne. Cette méthode, et là je reprends la très claire synthèse proposée par Wikipédia (lien ci-dessus), se base sur trois éléments principaux: l'authenticité, par laquelle le thérapeute va se montrer à son patient non pas sous un jour modifié, mais exactement tel qu'il est, l'empathie, et la chaleur, qui permet d'accueillir le patient tel qu'il est lui, sans jugement sur sa personne.
On voit très clairement avec le troisième point de cette méthode, qu’en aucun cas il n’est question d’établir le moindre rapport de supériorité ou de pouvoir avec le patient, ni d’attendre de lui qu’il s’abandonne à son thérapeute. En particulier lors d’une relaxation, à aucun moment la personne qui parle ne tente de prendre le contrôle de la personne à qui elle propose ses services. Bien au contraire, cette démarche repose avant tout sur la liberté de la personne à suivre le chemin qu’elle souhaite, et, si elle le veut, de refuser ce qui lui est proposé.
C’est d’ailleurs le même fonctionnement dans l’hypnose. Tous les hypnotiseurs vous diront que la vision du gourou qui contrôle les personnes par l’hypnose et leur fait faire ce qu’il veut est un fantasme sans fondement. Si ce qui est demandé à la personne lors de l’hypnose va à l’encontre de ses principes ou de ses valeurs, alors la personne refusera de s’exécuter. Il n’y a donc pas de mantra dans ces démarches, pas de prise de pouvoir, et à tout moment la personne qui les vit reste libre et non soumise.
Mais revenons au premier point de l’approche de Carl Rogers, sur l’authenticité, celui sur lequel j’ai souhaité m’arrêter dans mon précédent billet. J’insiste sur ce point parce que je le trouve extrêmement riche, que j’ai tenté personnellement ce type d’approche avec certaines personnes, et que j’ai alors senti à quel point il permettait une relation d’une sincérité, d’une profondeur et d’une chaleur humaine qu’on expérimente rarement.
L’idée de Rogers donc, est que le thérapeute est d’abord efficace en étant sincère avec son patient. Qu’est-ce que cela signifie au juste ? Simplement qu’il croit que la démarche du thérapeute est d’autant plus bénéfique si celui-ci se comporte comme une personne « réelle », sans fard, sans artifice, sans faux-semblants, sans se parer des atours du thérapeute avec justement ce qu’ils peuvent véhiculer de supériorité d’expertise, de maîtrise, etc. Le thérapeute se présente alors devant son patient tel qu’il est, un être humain, semblable, très semblable à son patient.
C’est donc une relation d’égal à égal qui est établie, et de façon extrêmement libre. Le patient ne se sent pas maîtrisé par le thérapeute, mais invité, avec chaleur, avec empathie, à exprimer l’être humain qu’il est, lui aussi sans fard ni faux-semblants. Le thérapeute, par son comportement réel, et en traitant le patient d’égal à égal, offre ici une marche solide sur laquelle ce dernier peut s’appuyer : « je lui suis semblable, et lui s’accepte tel qu’il est, il n’y a donc pas de raison pour que je ne sache faire de même ». Voilà de façon très résumée ce vers quoi tend l’attitude du thérapeute.
Ici il est très possible que mon interprétation des choses soit un peu limitée et partielle, mais voilà comment personnellement je perçois ce message. L’un des premiers problèmes psychologiques à résoudre est l’acceptation de soi. Cela paraîtra sans doute à plusieurs d’entre vous être un de ces principes de psy de comptoir trop rabâché pour être vraiment sérieux. Et pourtant. Il s’en faut de beaucoup.
Lors de la formation que j’ai suivi, nous devions faire cet exercice simple : nous poser devant un grand miroir, dans lequel nous pouvions parfaitement bien nous voir, nous en approcher, et dire la chose suivante : « je t’aime et je t’accepte, tel que tu es, avec tes qualités et avec tes défauts. » Simple non ? Tu parles. Je ne suis jamais parvenu à le faire. Je ne sens rien quand je fais ça, ça ne passe pas. Signe que donc ça ne porte aucun sens ? Je ne crois pas. Je dirais plutôt que c’est le signe qu’il y a encore un chemin long à faire pour parvenir à se dire cela avec une vraie sincérité et en abandonnant ses mécanismes de défense.
A mon sens donc (et ça n’engage ici que moi), l’approche d’authenticité de Carl Rogers dit cela au patient : "Oui, je suis ton thérapeute, oui c’est moi qui dois t’aider à guérir, à surmonter certaines difficultés. Mais moi aussi j’ai des doutes, des failles qui restent ouvertes, des blessures mal refermées, je continue comme toi à affronter des peurs anciennes, à reculer devant des combats que je sais pourtant être nécessaires de mener, j’ai mes reculs, mes oublis coupables, mes évitements, toutes ces batailles qu’il faudra encore mener et qui me laissent parfois les épaules lourdes et le regard gris. Regarde-moi, je suis juste un homme, rien que ça. Mais aussi tout ça. Et c’est ça que je t’invite à être toi aussi, sans crainte vis-à-vis de ce que j’en penserais, car je ne vais pas te juger."
On abouti alors à une relation où l’on a retiré les parasites habituels que nous conservons malheureusement presque tous et presque tout le temps. Il ne reste plus que deux personnes réelles, telles qu’elles sont. Elles ne sont pas nues. Elles sont justes elles-mêmes.
Deux post-scriptum sur ce billet: le premier pour signaler que j'avais déjà évoqué les travaux de Carl Rogers dans l'ancienne série que j'avais consacré à la communication (lien vers le dernier billet de cette série). Le deuxième pour suggérer aux lecteurs qui le souhaitent de (re)découvrir le merveilleux poème de Colette Nyz Mazure copié sur ce blog, au tout début de son existence, qui reprend un peu l'idée personnelle que j'ai tenté d'esquisser ici.
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