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20/03/2006

Des idées confuses font des paroles troublées

Quelques temps après l'affaire des caricatures de Mahomet, un débat intéressant a surgit ici ou  sur la pertinence des lois visant à réduire la liberté d'expression, dont la loi Gayssot qui interdit les propos négationnistes, et la loi Pleven qui interdit la diffamation raciste. Pour mémoire je reprends ici les articles de loi en cause:

 

Loi Gayssot (13 juillet 1990):

"Art. 24 bis. (L. n. 90-615, 13 juill, 1990, art. 9). - Seront punis des peines prévues par le sixième alinéa de l’article 24 ceux qui auront contesté, par un des moyens énoncés à l’article 23, l’existence d’un ou plusieurs crimes contre l’humanité tels qu’ils sont définis par l’article 6 du statut du tribunal militaire international annexé à l’accord de Londres du 8 août 1945 et qui ont été commis soit par les membres d’une organisation déclarée criminelle en application de l’article 9 dudit statut, soit par une personne reconnue coupable de tels crimes par une juridiction française ou internationale."

Loi Pleven (1er juillet 1972):

"Art. 32 (D.-L. 21 avril 1939 ; Ord. 24 nov. 1943 et 6 mai 1944 ; L. . n. 72-546, ler juill. 1972 ; L.n. 2-1336, 16 déc. 1992, art. 322). - La diffamation commise envers les particuliers par l’un des moyens énoncés en l’article 23 sera punie d’un emprisonnement de six mois et d’une amende de 80 000 F, ou de l’une de ces deux peines seulement. La diffamation commise par les mêmes moyens envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée sera punie d’un emprisonnement d’un an et d’une amende de 300 000 F ou d'une des deux peines seulement."


François et Laurent, en bons libéraux (du point de vue philosophique) qu'ils sont (ils parlent peu avec le poing levé, et se prosternent rarement devant le Très Saint et Très Haut Capital - que les 7 vents de la vallée du Nabam Nudu les emportent !), indiquent que selon eux que la liberté d'expression doit, par principe être totale. François avance notamment que les lois qui cherchent à la défendre lui rendent un bien mauvais service en permettant aux négationnistes, antisémites et racistes en tout genre de se poser en victimes.

 

Mais depuis le début, je ressens quelque chose qui me gratouille et qui me chatouille dans leur argumentation. Et c'est ce soir un billet de Guillermo qui me donne enfin les mots justes pour adresser ma critique à leur position. Cette critique la voilà : le grand risque que je vois à la liberté d’expression telle que la préconisent François et Laurent, c’est qu’elle engendre la confusion des esprits sur des évènements et des valeurs majeurs, et qui ont plus que le reste besoin d’un socle solide afin de ne pas être foulés au pied.

 

Dépénaliser la négationnisme, l’expression de propos raciste ou antisémites, c’est selon moi envoyer un message public qui dit : « ces propos là ont la même valeur fondamentale et sont aussi respectables que n’importe quels autres, ils n’ont donc pas à être condamnés par la justice ». Ce message est à mon avis à la fois une erreur et une catastrophe. Une erreur parce que, contrairement à ce que dit Laurent dans le billet indiqué en lien, tenir des propos homophobes par exemple n’a rien de comparable avec le fait de dire qu’on n’aime pas le chou fleur. Je suis même étonné qu’il les compare. Parce que dans le premier cas on est clairement dans un comportement d’agression (et même si elle n’est pas voulue, la bêtise n’excusant rien !), dans le deuxième il ne s’agit que de l’expression d’un goût banal. Ces deux propos auraient été comparable si dans le premier cas on avait plutôt dit : « Je n’aime pas les hommes », ce qui évidemment n’a rien d’un propos homophobe (même si certains jugeront qu'il s'agit là d'une faute de goût). Mais c’est aussi et surtout une catastrophe, parce qu’il met au même niveau des choses qui ne doivent en aucun cas être traités de la même façon. Il crée une confusion dans les esprits des gens qui voyant que l’on supprime ces lois pourront être amenés à remettre en cause dans leur propre échelle de valeurs l’importance de celles qui étaient ici défendues.

 

J’ai peur que l’on assiste à des dérapages où l’argument suprême qui nous serait opposé serait, en grossissant le trait: « la loi ne m’interdit pas de tenir des propos racistes, donc j’ai le droit de te traiter de sale négro, et tu n’as rien à dire. » Que l’on puisse alors répliquer, sur la base de la même liberté d’expression, que l’autre n’est qu’un sale con ne m’intéresse absolument pas. Mon inquiétude n’est pas que des propos racistes soient tenus, il y en a déjà, et il y en aura encore à l’avenir. Elle est qu’ils puissent être tenus avec un sentiment d’impunité, qui fera croire à leurs auteurs que les tenir n’est rien de plus condamnable que de choisir entre une carotte et un chou fleur sur l’étale d’un marchant. Parce qu’alors on plonge ces esprits dans la confusion, et je crois qu’il n’y a rien de pire que des esprits confus, aux valeurs mal assises, pour avancer sainement dans la construction d’un débat et donc à plus grande échelle d’une société.

 

Un individu ne peut se construire sainement s’il évolue dans la confusion des idées, s’il ne parvient pas à se créer des repères fiables, solides, sur lesquels il peut s’appuyer pour éprouver les expériences que la vie va lui présenter. La confusion est un facteur fort de dérèglement, de désorientation. Elle détruit l'individu. Combien de fois j'ai vu cette confusion être le ferment des dérives, des erreurs de jugement, des fautes de comportements ! Combien de fois j’ai vu des gens perdus dans leur vie parce qu’ils ne parvenaient pas à mettre leurs idées en ordre pour savoir enfin que croire et sur quoi fonder leurs choix !

 

De plus, cette confusion participe d’une forme d’obscurantisme, et c’est là je crois le plus grand ennemi des sociétés et des démocraties. Je note d’ailleurs que la liberté des individus n’est guère qu’un mot lorsque ceux-ci naviguent dans le noir de l’ignorance. Il n’y a de vraie liberté qu’éclairée, et celui qui agit et choisit en méconnaissance de cause est en réalité esclave de ses contingences, même si les éléments extérieurs donnent à ses actes l’apparence de la liberté.

 

Mais je me rends compte que cette analyse ne doit pas s’arrêter là. Car la critique que l’on peut formuler à l’égard de ma position, est que finalement j’exprime ici une position paternaliste, supérieure. Au fond, qui suis-je pour définir ce qui est juste et ce qui ne l’est pas et vouloir ensuite l’enseigner aux autres afin de les « éclairer » de mon prétendu savoir ? De quel terrorisme intellectuel ne me rendè-je pas coupable en voulant ainsi les édifier ? Et ne prenè-je pas le risque, en occultant mes propres ignorances, qui existent forcément, de me lancer dans une forme d’autoritarisme aveugle en excluant certaines personnes de la définition de ce qu’est le vrai et le juste et en la réservant à des prétendus initiés ?

 

En fait on s’aperçoit ici que les positions qui s’opposent dans cette affaire se fondent sur quelque chose de plus profond que de seuls arguments disons « techniques » sur ce qu’est ou ce que n’est pas la liberté d’expression. L’idée de François notamment est cohérente dans la mesure où il veut faire confiance à l’homme pour la conduite de ses affaires, et lui rendre la complète responsabilité de ses actes. Mon idée est cohérente dans la mesure où je ne crois pas à la capacité de tous les individus d’avoir un comportement responsable et où j’ai le sentiment que nous avons tous, tout le temps, encore et encore, besoin d’être éduqués pour devenir vraiment adultes.

 

D’autant plus que précisément concernant le cas du négationnisme, il n’y a rien de sérieux qui s’oppose à la réalité de l’Holocauste. Les faits sont avérés. Il n’y a donc aucun terrorisme intellectuel dans le fait de reconnaître des faits pour ce qu’ils sont et de chercher à les enseigner tels quel. Concernant l’expression raciste et antisémite, je trouve que dans la très grande majorité des cas on se trouve aussi dans une situation très similaire et qui ne souffre pas de doute quant à la réalité des actes. Pourquoi prendre le risque de la diminuer aux yeux du public ? Qui va-t-on servir en troublant ainsi la vision des choses ?

 

Je sais que ma position présente un grand risque : celle de déraper vers un autoritarisme nouveau où des initiés prétendraient détenir la vérité et l’enseigner aux ignares. Mais je crois que la position libérale a un défaut qu’il est important d’avoir à l’esprit : c’est que sa confiance en l’homme est fondée sur un idéal et non sur la réalité. Ce qui est d’ailleurs un paradoxe car on entend très souvent des libéraux faire aux autres (surtout aux disciples du Très Sage Karl)  la critique de leur manque de réalisme.

17/03/2006

CPE/CNE et conditions de travail

Puisque je participe à un groupe de brillants tyrosémiophiles, et que le CPE est désormais LE sujet dont tout le monde parle, il faut bien que je l’aborde un peu sur mon blog.

 

Je ne vais pas faire un billet très long, notamment parce que mes autres camarades (à lire avec le poing levé) ont déjà tout dit ou presque sur le sujet, et mieux que je ne l’aurais fait. En fait je voudrais aborder cette question en faisant à nouveau un détour par celle du stress.

 

Il y a quelques temps déjà j’avais évoqué l’impact que le stress pouvait avoir sur l’efficacité des gens au travail. Perte de motivation, fatigue, etc. sont des facteurs qui entraînent une diminution de productivité, et donc représente un coût pour l’entreprise. Il me semblait donc, et c’est toujours le cas, qu’une réflexion approfondie sur la question du stress en entreprise, et d’une façon plus générale, sur les conditions de travail, serait une voie intéressante à suivre dans le débat de l’emploi.

 

En faisant quelques recherches ces derniers jours, j’ai d’ailleurs trouvé plusieurs rapports très intéressants qui analysent le sujet de façon détaillée. Vous pourrez notamment lire cet article de Studyrama qui rapporte les résultats d’une étude faite en 2005, et dont la principale conclusion est que 25% des salariés seraient trop stressés. Je signale également cette étude très riche de l’INRS, dont la dernière mise à jour date de novembre 2005.

 

J’en reprends notamment un tableau qui synthétise bien certains points importants :

 

Intensification du travail

Proportion de salariés qui déclarent ...

En 1991

En 1998

 

devoir fréquemment interrompre une tâche qu'ils sont en train de faire pour en effectuer une autre non prévue

48

56

 

devoir souvent ou toujours se dépêcher

-

52

 

ne pas avoir de collaborateurs en nombre suffisant

27

30

 

manquer de temps pour effectuer correctement leur travail

23

25

 

 

On voit bien l'augmentation sur chacun des points passés en revue. Ces symptômes me semblent clairement désigner des manques organisationnel dans les entreprises, celles-ci travaillant de plus en plus dans l’urgence et moins dans une vision stratégique à long terme, ce qui est à mon avis préjudiciable.

 

Pour en revenir sur la question du CNE et du CPE, je crains qu’ils ne fassent que renforcer cette tendance vers des conditions de travail qui se dégradent, générant ainsi un mauvais stress plus fort encore, avec la perte de productivité que cela suppose. On oublie que la période d’essai, pour la majorité des salariés, est une période de stress important, où l’on compte peu ses heures parce qu’il faut convaincre et se donner les garanties d’être confirmé à son poste au terme de celle-ci. On me rétorquera qu’elle est aussi une opportunité pour le salarié de prendre congé rapidement, pour profiter d’offres plus avantageuses. Certes. Mais cette logique ne me paraît vraie que pour une frange réduite des jeunes : ceux qui ont un bagage de diplômes et une formation qui leur permettent d’être en position de force. Et ceux-là sont minoritaires sur le marché. Les autres ont beaucoup moins cette possibilité. Alors bien sûr, il est difficile de chiffrer les coûts qu’engendre le stress, mais ils sont pourtant très réels, et surtout, ils représentent un vrai risque à long terme.

 

En gros c’est ça ma critique contre ces contrats : ils semblent s’inscrire dans une logique de court terme, et pas dans une vraie stratégie structurelle pour favoriser l’emploi. Juste pour l’anecdote, une intervention de Gilles de Robien attrapée au vol hier soir entre deux coups de zapette, m’a donné confirmation de l’orientation court-termiste de ces contrats. Il a dit à un moment (je cite en gros) : « Dans quelques mois, je retrouverais les partenaires sociaux assis ici à côté de moi et nous pourrons faire les comptes. Nous verrons alors si le CPE a créé des emplois, et nous saurons qui avait raison. » Mais si l’on se place dans le cas positif de créations d’emploi d’ici à quelques mois, cela ne serait pas moins ridicule de prétendre alors que donc le CPE était une bonne mesure.

 

Parce qu’il ne suffit pas pour créer une vraie dynamique que quelques milliers d’emplois soient créés d’ici à 6 mois. Encore faut-il que cela dessine une vraie tendance, et surtout, que ces emplois ne se trouvent pas détruits un an plus tard ! Il me semble que de Robien, qui a offert son plus beau sourire après cet appel au rendez-vous dans quelques mois, a en fait signé la logique à courte vue du projet soutenu par le gouvernement. L’objectif n’apparaît être que de pouvoir présenter dans quelques temps des chiffres satisfaisants sans se demander ce qui va se passer à long terme. Si c’est bien le cas, c’est une démarche tout à fait stérile, et même destructrice puisqu’elle fait perdre du temps au détriment de mesures plus solides.

16/03/2006

La FIFA enfin décidée ?

Je découvre ce soir un article indiquant que la FIFA serait enfin prête à prendre des mesures fortes pour lutter contre le racisme dans les stades. Parmi l'arsenal envisagé les clubs pourraient se voir infliger:

 

"Matchs de suspension, déduction de 3 points [au classement du championnat] pour une première condamnation, 6 pour une récidive, et la relégation si les incidents se poursuivent - ou alors la disqualification de l'équipe."

 

Et les fédérations  nationales seraient obligées d'inclure ces mesures dans leurs règlements.

 

Pas mal. Espérons que cette intention soit bien suivie dans les faits.

Changement de référentiel et débat parlementaire

Une des méthodes dont on parle parfois pour contrer une agression est le changement de référentiel. En quoi cela consiste? Il s'agit de rompre la logique comportementale qui soutien la démarche de l'agresseur. En entrant dans son jeu, mais en décalant son propre comportement sur une autre base que celle qu'il a adoptée. Cette modification déboussole l'agresseur, lui enlève ses repères pour lui faire adopter les nôtres. Du coup il abandonne son comportement agressif et se "cale" sur le comportement qu'on lui propose par notre attitude.

 

L'exemple type est celui de l'agression armée. Un type s'approche de vous et vous dit: "Ton portefeuille, ou je te bute!" Réponse en procédant au changement de référentiel: "Vas-y, frappe" sur un ton serein, comme si on était dans un cadre relationnel normal. L'agresseur qui s'attendait à créer un rapport de force et à obtenir une réaction qui y soit directement liée se trouve décontenancé. Le rapport de force est immédiatement brisé, du coup lui-même se trouve mis en dehors d'un rapport de force, et même il est en quelque sorte "laissé dans le vide" sans appui pour poursuivre sa démarche. Dans ce cadre nouveau, son comportement n'a plus lieu d'être et donc il laisse tomber son arme.

 

Evidemment cette description reste très générale, et il convient de rester très prudent quant à la réussite potentielle de ce type d'outil. Dans l'exemple évoqué ici il vaut bien mieux soit donner satisfaction à l'agresseur soit prendre ses jambes à son cou si on en a la possibilité, afin de sauver sa vie. Il faut parfois savoir faire l'éloge de la fuite. Mais il est très intéressant de noter que cette méthode en revanche peut donner de très bons résultats dans le cadre d'une agression qui n'est pas physique.

 

En effet, si l'on se trouve en face d'une personne qui montre une agressivité verbale forte couplée à une incapacité à écouter ce qu'on lui dit, entrer dans son jeu est la pire des choses. D'abord parce qu'il n'y a souvent aucun espoir à fonder sur notre capacité à lui faire entendre raison, et ensuite parce que ce faisant on y perd son énergie. En n'entrant pas dans le rapport de force que son comportement établi, non seulement on s'évite de s'épuiser en vain, mais on se donne plus de chance de ramener la personne à la raison. Et donc de traiter enfin le sujet qui nous oppose au lieu de rester sur une opposition de principe où chacun joue à celui qui lâchera le dernier.

 

Revenons maintenant dans un cadre moins violent, même s'il garde souvent un caractère agressif: celui du débat polémique. Ce qui me chagrine la plupart du temps dans les débats enflammés c'est que dans le fond personne n'écoute personne, aucune des parties en présence n'essaie vraiment de faire progresser le sujet du débat, mais que très rapidement il n'est plus question que de sauver sa position devant celle de l'autre, parfois au prix d'insultes et de phrases méprisantes ou moqueuses. Bref, le sujet du débat est oublié, non traité, et on ne se démène que pour ne pas être mis en position d'infériorité par rapport à son contradicteur.

 

En matière politique, cette logique du rapport de force est une constante. Quand un groupe cherche à faire valoir ses idées, l'outil de pression qu'il utilise le plus souvent est le rapport de force. On entend même souvent les commentateurs ne plus faire référence qu'à la capacité des différents groupes à créer ce rapport de force pour analyser la crédibilité de leur démarche. C'est le cas notamment de certains commentaires sur le conflit israélo-palestinien, où j'ai lu à plusieurs reprises que la démarche des terroristes palestiniens était obligatoire, parce qu'ils pouvaient ainsi établir un rapport de force et donc obliger le camp adverse à les écouter.

 

Je ne nie pas que, stratégiquement, il y a une pertinence dans cette position. Mais elle reste à mon avis tout à fait stérile et destructrice si la démarche adoptée est exclusivement celle d'un rapport de force, précisément parce qu'elle tombe dans le piège devenir automatique et de ne plus vraiment traiter le sujet auquel elle prétendait initialement porter attention. En d'autres termes, on prend le risque de ne plus se battre pour des idées, mais seulement pour se battre. L'absurdité de ce schéma n'échappera à personne.

 

C’est un peu la critique que je voudrais formuler contre le débat parlementaire qui a lieu ces temps-ci sur la question du CPE, et même de celui que l'on voit trop souvent se dessiner sur les grands sujets politiques. Grom indiquait hier dans un billet d'une approche que je partage plutôt, que les institutions sont aujourd'hui ainsi faite que les comportements mécaniques de l'opposition dans l'affaire du CPE ne peuvent guère être reproché qu'au fonctionnement de nos institutions qui ne leur donne pas de moyen de réaction et de protestation vraiment efficace. Et de signaler que ce reproche aujourd'hui fait à la gauche, doit aussi s'adresser à la droite lorsque celle-ci est dans l'opposition, ce qui me semble évidemment juste.

 

Pour autant, si je ne saurais critiquer Grom sur son analyse des mécanismes institutionnels qui organisent le jeu du débat politique, je reste pour ma part déçu des comportements que je constate. J'entends bien les gens qui voient le jeu des rapports de force systématiques comme quelque chose d'inévitable et qu'on serait bien naïf d'attendre autre chose et que donc seule une analyse cynique de la situation est véritablement intelligente (je précise qu'à mon avis Grom ne fait pas partie ce ceux-ci). Mais si on doit en rester là autant rester couchés et ne plus faire de politique.

 

Je crois que malgré les limites institutionnelles dans lesquelles le débat démocratique se trouve enfermé, il reste tout de même une place pour autre chose que des positions de robots lobotomisés aux seuls échos du :"tu dois établir un rapport de force pour parvenir à te faire écouter et pour te faire bien voir de tes électeurs." Ou alors le débat politique, et c'est ce que je crains en fait, sert de moins en moins de véritables projets, mais n'a plus lieu que pour savoir qui va remporter la prochaine élection. Et ce faisant il signe son propre échec.

 

Je crois donc qu'il serait plus que souhaitable que le débat parlementaire se concentre enfin en priorité sur les sujets politiques qui sont à traiter, et non plus sur les luttes de pouvoir, qui si elles sont compréhensibles, ne sont pour autant pas des fins en soi. Je note d'ailleurs sur ce point que la propension de nombreux journalistes à toujours réduire les actions ou paroles des politiques en tactique électorale n'aident vraiment pas à recadrer le débat là où il devrait avoir lieu et à l'assainir.

 

Pour conclure et aider la gauche dans cette démarche, qu'elle essaie un peu de changer de référentiel dans ses débats, qu'elle montre qu'elle peut faire autre chose que de proposer des réactions prévisibles et dans lesquelles elle s'enferme et enferme les discussions. Ce n'est pas qu'une question d'institutions, c'est aussi une question de comportement humain. Quand on a un comportement par lequel on montre qu'on est au dessus de la mêlée, on est écouté, parfois même respecté.

14/03/2006

Un vrai billet de néophyte sur l’économie mondiale

Avertissement : tout est dans le titre!

 

En suivant un peu l’actualité économique ces derniers temps, je me disais qu’on voyait beaucoup d’entreprises affichant des profits très importants: France Telecom, Total, Arcelor, BNP, etc. Les grandes entreprises françaises annoncent à la file les unes des autres des bénéfices record pour l’année 2005. Même la SNCF s’y met aujourd’hui !

 

Du coup, moi qui malgré mes études supérieures en commerce n’y connais pas grand-chose en économie (oui c’est un peu la honte, mais j’ai tellement peu aimé ces études…), je me demandais comme il était possible, si nos plus grandes entreprises faisaient de tels résultats, que notre croissance au niveau national reste si décevante (pdf). Et pourquoi, si les entreprises dégageaient autant de bénéfices, elles n’en faisaient pas plus profiter leurs salariés.

 

Heureusement, depuis que je blogue je suis moins bête qu’avant, ou en tout cas je compense avec ce que je lis chez les autres. Et parmi les blogs économiques que je lis, il y a celui d’Eric Izraelewicz, que je trouve souvent très bon et très intéressant. Hier, j’y lisais un article qu’il a posté vendredi dernier, et qui répond exactement à ma question.

 

Pourquoi les résultats de ces entreprises ne se traduisent pas dans la croissance globale de notre pays ? Pour deux raisons principales indique-t-il :

  • D’abord parce que ces entreprises sont les (grands) arbres qui cachent la forêt. Derrière ces champions qui enchaînent les bons résultats, il y a tout un tas de PME et de TPE qui dégagent des rentabilités beaucoup plus minces, et qui parfois même sont en train de diminuer. Eric Izraelewicz constate ainsi qu’il y a une fracture sociétale entre les grandes entreprises qui ont de très bons résultats et les petites qui ont plus de mal.
  • Ensuite, parce que cette fracture s’explique en très grande partie du fait que les grandes entreprises réalisent désormais l’essentiel de leurs profits à  l’étranger ce qui est beaucoup moins le cas des petites. Et puisque leurs résultats sont surtout bons à l’étranger, c’est en toute logique là-bas, et pas chez nous, que se portent leurs investissements. Ainsi, les fruits des bénéfices de ces entreprises partent pour une très grande partie ailleurs pour faire des petits, créer des emplois et générer de la croissance. Et pendant ce temps, notre investissement restant en berne au niveau national, notre croissance et notre emploi restent timides.

 

Pour appuyer ce point, je voudrais citer un autre article que j’ai trouvé excellent, découvert hier soir en feuilletant le Courrier International de la semaine dernière,  et extrait de The Economist (je vous indique le lien de l’article original, en anglais donc, celui du CI étant un lien payant).

 

Dans cet article, le journaliste note la déconnection grandissante entre résultats des entreprises et santé de l’économie des pays où elles sont nées. Pour la même raison que celle avancée par Eric Izraelewicz : le fait qu’elle sont désormais très internationalisées et liées à l’économie mondiale, et que l’essentiel de leurs bénéfices se fait à l’étranger.

« Firms in Europe are delivering handsome profits that are more in line with the performance of the robust global economy than with that of their sclerotic homelands”

 

Plus loin il note que les 40 plus grandes multinationales du monde emploient 55% de leur personnel à l’étranger et que 59% de leurs bénéfices se font en dehors de leurs bases nationales. Mais ce qui est inquiétant note-t-il, c’est justement que cette internationalisation pousse les entreprises à investir presque l’essentiel de leurs bénéfices à l’étranger, handicapant ainsi la croissance de leur pays, mais aussi limitant les gains que pourraient enregistrer les travailleurs qui y sont.

 

J’ai trouvé cet article très intéressant, parce qu’en le lisant je me suis dit que c’était exactement l'un des reproches principaux fait par une large partie de la gauche en France, surtout par la gauche de la gauche, à la mondialisation. Les entreprises, tentées par des coûts plus faibles à l’étranger et par les bénéfices qu’elles parviennent à y dégager, y investissent plus d’argent que dans leurs pays d’origine, ce qui porte un coup important à la croissance de ceux-ci, et se répercute ensuite sur le portefeuille des particuliers qui diminue.

 

Pourtant, si on y réfléchit bien, il me semble qu’il y a un grand « mais » à cette critique. C’est qu’on voit bien ici le jeu de vases communicants qui s’opère entre les économies mondiales. Les grandes entreprises basées aux USA, en France, au Japon, en Allemagne, etc. font de grands bénéfices, mais elles investissent hors de leurs bases, à l’étranger, là où elles ont de meilleures perspectives du fait sans doute en grande partie de coûts plus bas. Bref, dans des pays en voie de développement. Alors est-on bien sûr que c’est là quelque chose de fondamentalement mauvais et injuste ? Ce jeu de vases communicants n’est-il pas la vertu de la mondialisation qui permet ainsi à ces pays d’effectuer un rattrapage économique par rapport à nous ?

 

En fait ce que je veux indiquer ici, sans doute de façon trop simpliste je le reconnais, c’est que la critique anti-mondialisation qui nous viendrait naturellement à la vue de profits records des entreprises, qui ne se traduisent pas par des hausses de revenus correspondantes chez nous, est en fait une courte vue parce qu’on arrête trop tôt sa réflexion sans se demander si ce qui apparaît comme une injustice au niveau local n’est pas en réalité un bienfait à plus grande échelle. On ne peut pas à la fois pester contre ce type de mécanisme de la mondialisation et déclarer vouloir le bien de l’humanité en agissant pour les pays défavorisés en même temps, sans risquer de tomber dans l’incohérence.

 

Pour autant, il faut bien admettre que ce premier réflexe, et bien nous sommes certainement très nombreux à l’avoir, et qu’il reste dans le fond très « humain ». Et donc qu’il est bien nécessaire d’essayer de lui apporter une réponse. Tout d’abord, je note ce que relève Eric Izraelewicz dans son billet : le partage de la valeur ajoutée dégagée par les entreprises françaises n’a guère changé. Depuis 2002, dit-il, chiffres de l’INSEE à l’appui, les salariés récupèrent environ 2/3 de la valeur ajoutée produite, et les entreprises en gardent 1/3. Il semble donc que la France soit mieux lotie que d’autres pays dans ce domaine, puisque l’article de The Economist se montrait plus inquiet sur ce point, notamment sur le cas allemand où les salaires réels auraient baissé durant les deux dernières années.

 

Mais aussi, parce qu’il existe des moyens pour faire en sorte que les salariés restent gagnant avec leur entreprise : les rémunérations complémentaires du type intéressement. Avec ce type de rémunération chaque employé profiterait des gains de son entreprise. Mais, l’article de The Economist propose une autre idée, plus pertinente selon lui : que les entreprises répercutent les diminutions de coûts dont elles profitent sur leurs prix de vente afin d’en faire profiter les consommateurs (qui sont aussi les salariés). Sur ce point je dois dire que mes limites en économie me gênent pour bien l’évaluer. Je ne suis pas sûr qu’un système généralisé de baisse des prix soit forcément bon pour une économie, et je sais même qu’il existe un grand nombre de théories montrant les méfaits d’une telle forme de déflation (je suis obligé de mettre le lien en anglais, à cause de l'accent sur le é). Mais je laisse à ceux de mes lecteurs qui s’y connaissent le soin d’apporter plus d’éléments critiques là-dessus.

 

J'espère n'avoir pas déçu la promesse faite en titre ! (hem)

13/03/2006

Regarder les étoiles, et sourire

Quand j'étais petit, j'aimais beaucoup l'astronomie. Assez tôt je m'étais mis à observer les étoiles le soir, à regarder ce grand tableau scintillant qui semblait si lointain et si proche en même temps. Cette simple observation me plongeait dans une forme de rêverie, d'absence au monde contingent dans laquelle je me sentais bien. Encore aujourd'hui j'y prends un grand plaisir, et il n'est pas rare que les jours où le ciel est dégagé, lorsque je sors quelque part, je passe quelques minutes le nez en l'air, à regarder l'éternel spectacle des astres au dessus de ma tête.

 

Samedi soir, alors que j'étais en soirée, je me suis approchée d'une baie vitrée pour observer la Lune qui brillait dehors. On la voyait bien, elle était déjà assez développée et sa lumière inondait le petit lac au pied duquel nous étions. Et en la regardant, je me suis souvenu d'un livre que j'avais lu il y a quelques années. Un livre d'Hubert Reeves, intitulé Oiseaux, merveilleux oiseaux, aux éditions du Seuil. Dans la préface de ce livre, Reeves indique les raisons qui l'ont amené à l'écrire et évoque notamment un passage difficile de sa vie où il fut hospitalisé. Je le reproduis:

 

"Au retour d'une expédition au Sahara, où tous les soirs, étendus dans le sable, nous observions la voûte étoilée et la comète Hale Bopp, j'ai connu d'importants problèmes de santé.

  Première hospitalisation à Paris avec piqûres dans la colonne vertébrale (je ne vous le conseille pas...). Seconde hospitalisation en urgence à Auxerre; grave opération d'une péritonite avec complications variées. Au réveil, des tubes de plastique me transpercent de toute part. L'inconfort est total. Je ne suis plus qu'une tuyauterie percée. Les infirmières me "changent" jour et nuit. Une grande lassitude m'envahit. J'ai envie que ça s'arrête. L'idée de ma mort me devient douce.

  Une nuit d'insomnie, je lève les yeux vers la Grande Ourse. Je sens monter en moi une intense émotion et m'entends dire: "Je suis en vie!". Les yeux fixés sur la constellation, ces mots se répètent plusieurs fois dans ma tête. L'idée de la mort ne m'a plus jamais effleuré.[...]

  Ces étoiles si familières me disent: "Tu es toujours avec nous." Mais il me remonte aussi à l'esprit que mon corps souffrant plonge ses racines dans la vaste étendue des espaces et des temps cosmiques. Le scintillement des étoiles aperçu par la fenêtre de ma chambre d'hôpital me rappelle la moisson d'atomes qu'elles élaborent dans leur coeur et qui jouent un rôle si important dans l'évolution de l'univers."

 

Reeves dans tout son livre, s'emploie à décrypter, d'une façon remarquablement claire et agréable pour le néophyte, la longue liste des miracles physiques, chimiques et biologiques qui ont conduit à notre existence. L'explosion initiale du Big Bang, l'organisation et le dosage des forces qui auraient tout modifié s'ils avaient été différents, la disparition des dinosaures qui fut le point de départ de la diversité animale, etc. Reeves note avec émerveillement que la nature use de chaque faille dans l'organisation des choses pour faire naître la vie. Le levain cosmique "fait feu de tout bois". Et ce levain, encore aujourd'hui, et pour toujours, nous le portons en nous. Il est le lien éternel qui nous rattache à la vie dans son ensemble, à l'histoire de la Terre qui nous porte, à celle de nos ancêtres, à celle de nos contemporains et de nos proches, aujourd'hui.

 

Et voici la conclusion de son livre, que je laisse chacun méditer librement :

 

"Ce livre, je le rappelle,  est né d'une rencontre avec des jeunes gens démobilisés et suicidaires au Québec. J'ai raconté l'importance pour moi de cet évènement pendant mes graves ennuis de santé de l'année 1997. En guise de gratitude, je leur propose l'exercice suivant: les yeux clos, revoyez intérieurement la multitude des évènements cosmiques, galactiques, stellaires, planétaires, cométaires, directement impliqués dans notre présence ici en ce moment. Cette rétrospective vous dira combien votre existence est précieuse. Elle vous permettra, du moins je l'espère, de reprendre contact avec ce levain cosmique, présent en chacun de nous comme dans chaque brin d'herbe."

10/03/2006

Conclusion de la relation d'aide

Billet précédent de la série

 

 

Attention, encore un billet long.

 

 

Ce billet, le dernier de ma série sur l’aide, s’appuie à nouveau sur les travaux de Jean-Pierre Cléro (re-hop pdf) et Daniel Calin (hop aussi) déjà évoqués précédemment.

 

 

Quand j’ai commencé mon travail sur ce thème de l’aide, j’ai d’abord voulu partir d’une définition claire de ce mot qui paraît si simple au premier abord, mais qui, on l’a vu, recouvre une réalité complexe. Et en fouinant à la bibliothèque dans diverses encyclopédies et autres dictionnaires, je me suis aperçu que les sens donnés au mot aide variaient parfois de façon assez sensible d'un dictionnaire à l'autre.

 

 

Une des définitions qui m’a intéressé était celle du Larousse (bien qu’en général je préfère le Robert). La voici : "aide : action d’aider quelqu’un, de lui donner une aide momentanée ou accidentelle." Bon définir l’aide en disant que c’est l’action de donner son aide est un peu léger, mais passons. Ce qui m’intéresse ici c’est que cette définition considère donc que l’aide est une action momentanée, délimitée dans le temps, accidentelle même !

 

 

C’est ce point sur le caractère limité dans le temps de l’aide qui m’intéresse ici. On a déjà indiqué que très probablement l’aide ne peut pas tout aider, qu’elle a une limite dans les éléments de la vie de l’aidé sur lesquels elle peut se porter. Mais sauf cas rare elle est également limitée dans le temps. Alors même, comme le souligne Cléro, que la nature de l’aide est d’être illimitée dans son offre, afin de pourvoir à la demande de l’aidé, l’aide doit se terminer, elle doit prendre fin. Si elle ne se termine pas elle signe l’aveu de son échec, elle démontre qu’elle n’a pas su être efficace est qu’elle s’est déroutée vers une situation de dépendance irrévocable de l’aidé envers l’aidant.

 

 

Cependant, terminer l’aide, lui donner sa conclusion, n’est pas tâche facile.

 

 

D’abord il faut remarquer que dans bien des cas, l’aidant va devoir se préparer à ne pas recevoir de remerciement de la part de l’aidé. Jean-Pierre Cléro indique de façon assez détaillée dans son étude en quoi l’ingratitude est fondamentalement la réponse que l’aidant doit attendre à sa démarche. Non pas que les personnes aidées se révèlent en majorité ingrates envers ceux qui les ont aidé. Je serais surpris que ce soit le cas. Mais l’aidant quoi qu’il en soit doit, lorsqu’il s’engage dans la relation d’aide, ne pas le faire dans l’espoir d’en recevoir une quelconque marque de gratitude.

 

 

C’est le retour de médaille inévitable de la gratuité de l’aide. Si elle est gratuite, elle est payée d’ingratitude, du moins elle doit s’y attendre. L’ingratitude d’ailleurs, ainsi que le souligne Jean-Pierre Cléro, présente un avantage. Elle permet à l’aidé de s’affranchir de la relation d’aide "sans frais". Elle évite à chacune des parties de se retirer sans que la gêne ne s’installe de par le déséquilibre que la relation d’aide a pu créer.

 

 

Mais le principal défi de la conclusion de l’aide est de parvenir que celle-ci ait lieu sans détruire tout le travail qui l’a précédée. Plus que ça même, la détermination juste du moment où elle doit intervenir, ainsi que de la façon dont elle doit se faire, conditionne souvent en très grande partie l’efficacité finale de l’aide. C’est ce qu’indique Daniel Calin dans son texte. L’une des difficultés les plus complexes auxquelles se heurtent les professionnels qui accompagnent les élèves en difficultés est d’organiser la séparation avec ceux-ci de sorte que leur prise d’autonomie soit réelle et que la rupture de la relation d’aide ne se transforme pas en rechute. Quoique doit certainement être confronté à ce dilemme dans son travail.

 

 

Ce qu’indique Daniel Calin en particulier, c’est que pour que l’aide parvienne à devenir autonomisante, elle doit pouvoir être "intériorisable". C’est-à-dire qu’il faut que l’aidé puisse en quelque sorte rejouer seul ce qui se fait avec l’aidant. Et pour cela nous dit Calin, il faut que l’enfant ait avec lui un "partenaire ludique structurant". Celui-ci peut l’être par l’intensité de sa présence, de son attention, de sa sensibilité. Grâce à cette présence structurante l’enfant va être capable d’élaborer lui-même par la suite les expériences et les procédés qui vont le rendre plus autonome.

 

 

Si cette intériorisation ne se fait pas, le risque existe que la personne aidée perde très vite tout le gain de ce que la relation d’aide a pu lui apporter et qu’elle se retrouve à la case départ. Toutefois il me semble que ce risque intervient surtout dans les aides qui ont un fort contenu psychologique, lorsqu’il s’agit de construire ou reconstruire les éléments psychiques d’une personne manquant de repères. C’est le cas des enfants, même de ceux qui ne sont pas en difficultés d’ailleurs, et aussi par exemple des personnes suicidaires. Mais il me semble que dans le cas de personnes dont la demande se porte principalement sur des éléments matériels, comme trouver un travail, un logement, etc. ce risque est moins fort.

 

 

Il faut bien reconnaître ici qu’il serait un peu fallacieux de prétendre dégager une solution généralisable pour déterminer quand et comment l’aidant doit mettre fin à la relation d’aide. C’est essentiellement par une démarche sensible, personnalisée, mouvante au gré des personnes qui nous font face, que l’on peut espérer entrevoir avec justesse comment il faut s’y prendre. Toutefois, Daniel Calin indique une piste intéressante, qui est dans la continuité de son analyse sur l’intériorisation du processus d’aide. Il s’agit nous dit-il, de faire un travail de prise de conscience de l’évolution de la dépendance dans la relation d’aide. Ceci notamment peut se faire en balisant certains acquis, en les relevant clairement avec des remarques du type "tu as vu, tu avais besoin de moi pour cela, et maintenant tu sais le faire seul, tu n’as plus besoin de moi".

 

 

Mais le dilemme le plus grand peut-être qui se pose au moment de rompre la relation d’aide est de savoir si même cette rupture est réellement souhaitable. Cléro dans son analyse se pose très clairement en philosophe solipsiste, convaincu du caractère profondément solitaire du chemin de vie de chacun. Il évoque ainsi Pascal qui disait dans les Pensées "On meurt toujours seul." Il cite Freud également, qui indiquait dans Au-delà du principe de plaisir que nous devions tous conduire notre vie de la façon la plus privée possible. Cléro fait clairement ici écho à son introduction qui analysait la signification du mot aide dans les langues anglaises et allemandes, analyse déjà rapportée dans mon étude. Helplessness, Hilflosigkeit, ces deux mots, aussi paradoxal que cela puisse paraître, portent en eux le caractère insecourable de chacun de nous, ils témoignent de la solitude fondamentale qui entoure nos vies.

 

 

Ainsi Cléro nous dit que l’aide n’est guère qu’une rencontre momentanée, relativement courte au regard de l’ensemble de nos vies, parfois même accidentelle. Et aidant et aidé non seulement risquent une séparation définitive, mais encore cette séparation est normale voire même souhaitable en ce qu’elle ne fait que respecter la solitude de chacun et lui permettre de conduire son chemin de façon privée jusqu’à sa mort.

 

 

Le point de vue de Jean-Pierre Cléro est bien sûr très intéressant, mais en fait pour tout dire il me semble trop manichéen. Il désincarne trop la relation d’aide pour ne l’analyser que sur un plan purement théorique. Il oublie qu’on parle d’hommes ici et que les relations qu’ils sont susceptibles de nouer entre eux sont parfois d’une complexité qui les rendent impossible à saisir en partant d’un seul angle de vue. C’est pourtant bien ce que fait Cléro en regardant la relation uniquement sous l’angle de l’aide.

 

 

Car bien que la relation qui s’établit entre aidant et aidé est bien évidemment essentiellement une relation d’aide, elle n’est pas que cela. En effet, si elle s’est aventurée dans une personnalisation importante, qu’elle a créé, par le jeu de l’interdépendance entre aidant et aidé, un lien qui va au-delà de la seule aide que l’un pouvait apporter à l’autre, alors le lien initial qui les faisait se rencontrer s’est transformé en quelque chose de plus intense, de plus fort. Leur relation s’est transcendée pour faire naître une forme d’amour.

 

 

Cléro s’oppose dans son analyse à la transformation de la relation d’aide en amour. Je pense qu’il a tort. Je le rejoindrais volontiers s’il s’agissait de dire que dans le cadre strict de la relation d’aide, dans les éléments qui doivent permettre de la rendre efficace, on doit se méfier de l’amour qui peut naître entre aidant et aidé, qui est plus propre à voiler la réalité qu’il convient d’affronter que de la mettre au jour, mais une fois que l’aide est arrivée à terme, qu’elle a produit ses fruits et s’est révélée efficace, je ne vois aucune bonne raison pour refuser ce nouveau lien qui peut unir ceux qui étaient avant aidant et aidé.

 

 

C’est tout à fait la critique que formule Daniel Calin. Il indique effectivement qu’on se trompe en voulant absolument séparer l’aidant et l’aidé, et qu’il peut au contraire se révéler très bénéfique pour l’un et pour l’autre de savoir organiser des retrouvailles après la terminaison de la relation d’aide. L’enfant qui quitte le foyer familial ne le quitte pas pour toujours, et tant lui que ses parents trouvent du bonheur à se retrouver et à remettre en commun par intermittence une partie de leur parcours. Pourquoi en serait-il autrement dans le cadre des relations d’aide. Pourquoi se priver de la chance de construire un lien social durable, structurant donc, et qui nous apporte du bonheur ?

 

 

En fait Jean-Pierre Cléro et Daniel Calin ne parlent pas exactement de la même chose ici. Cléro en est resté exclusivement à la relation d’aide, tandis que Calin l’a étendu au lien personnel qui a pu se former entre l’aidant et l’aidé. Et comme lui je me méfie des absolutismes de l’autonomie et de la responsabilité isolée, et des théories de la solitude. Il ne faut pas refuser la construction du lien social, même si celui-ci se fait avec des personnes avec lesquelles nous avons pu connaître une relation déséquilibrée. C’est un des outils les plus sûrs pour construire notre bonheur. Et il n’y a pas de raison valable pour refuser qu’il nous apporte ses bienfaits.

 

 

Il existe je crois une vraie sagesse du bonheur, du bien-être. S’en servir pour déterminer quels chemins choisir, vers quoi s’orienter, quelles décisions prendre, me semble en fait plutôt sage et juste. Bien sûr il faut savoir identifier quand ces chemins ne sont en fait que des solutions à court terme ou qu’ils présentent le risque de se faire au détriment des autres, mais se les interdire par principe sous prétexte du respect de théories philosophiques, même si celles-ci peuvent paraître pertinentes, me semble un non-sens.

 

 

Nous voilà donc à la fin de cette étude, qui je l’espère n’est pas resté trop théorique et déconnectée de la réalité, afin d’apporter des éléments vraiment utiles pour mieux comprendre cette notion. Pour conclure cette série, puisque je l’avais ouverte en citant La Fontaine, c’est à nouveau à lui que je fais appel, bouclant ainsi la boucle de ce long travail :

 

« En ce monde il se faut l’un l’autre secourir », La Fontaine, Fables, VI, 16, Le cheval et l’âne

09/03/2006

Le gouvernement a trouvé son clown !

Autant je trouve que les pitreries de de Villiers sont souvent agaçantes voire révoltantes de malhonnêteté, autant celles de Renaud Donnedieu de Vabre m'amusent de plus en plus.

 

Il y a quelque temps déjà j'avais relevé ici une citation rigolote de l'artiste, lâchée au soir du premier coup de théâtre de la controversée loi DADVSI, qui témoignait d'une vision aussi personnelle qu'originale de l'ouverture d'esprit. Mais cette fulgurance n'était qu'un prologue. Je ne sais pas bien ce qui se passe dans la tête de RDDV, mais je me demande un peu si le gouvernement ne se sert pas du prétexte de cette loi, à laquelle encore peu de gens doivent comprendre grand chose et qui ne doit donc pas leur paraître un sujet majeur, pour dérider un peu les foules et nous redonner le sourire.

 

Car vraiment depuis le début de cette affaire, RDDV ne rate pas une occasion de nous faire rire. D'abord il y a eu récemment l'amusante anecdote des jumeaux de son site lestelechargements.com en .info, .org, .fr, mais qui ne semblaient étrangement pas manifester l'enthousiasme du premier pour le projet du ministre. Puis dans la nuit d'hier à aujourd'hui, un nouvel épisode dans lequel Renaud nous montre comment il enlève et remet un article à sa loi façon Lucky Luke. 

 

Ce qui est rigolo dans l'article du Figaro (lien ci-dessus) c'est les raisons invoquées par RDDV pour la réintroduction de l'article 1 de cette loi, celui qui déchaîne visiblement le plus de polémiques.

 

"Sur tous les bancs j'ai entendu des questions, des interrogations, je veux qu'il n'y ait aucune ambiguïté. [...] [Je souhaite] une délibération totale, intégrale [dans le] respect des prérogatives des députés."

 

En lisant ça on se dit qu'il a dû se réveiller dans la nuit en se disant "mince, mon retrait abrupt de l'article 1 de ma jolie loi c'était pas sympa pour les députés quand même. Bon je vais le remettre comme ça on pourra rester copains."

 

Sauf qu'on a un vague doute sur l'honnêteté de ces propos quand on lit plus loin qu'en fait Renaud aurait craint que sa première décision de faire usage de l'article 84 du règlement de l'assemblée nationale pour retirer un seul article de son projet de loi pourrait ne pas être très constitutionnel. Ce qui en passant valide les doutes émis récemment par Grom.

 

Mais malgré cela je trouve que RDDV devient plutôt attachant à travers ces péripéties. Dans le fond il s'affirme un peu comme le Pierre Richard du gouvernement, le gars qui se prend les pieds dans le tapis au milieu de gens sérieux et qui se relève en faisant mine de rien. Alors je me prends à rêver. Que les débats sur cette loi durent encore, qu'ils se prolongent au-delà de ce qui est prévu, et qu'on assiste encore à quelques tours de Renaud.

 

Certains disent que la loi sur l'égalité des chances et notamment la création du CPE serait en passe de faire perdre la droite aux prochaines présidentielles. Et si RDDV parvenait avec sa loi DADVSI ou d'autres futurs projets aussi rigolos à la faire gagner? France qui rit est à moitié conquise?

 

Add: évidemment Eolas a écrit aujourd'hui un billet 10 fois meilleur sur le sujet. C'est agaçant d'être associé à des gens comme ça.

08/03/2006

Hommage aux femmes

La journée de la femme me donne l'occasion d'écrire un petit billet pour leur rendre hommage. Car outre leur plus grande qualité qui est d'être moins belliqueuses que nous (combien de guerres aurait-on évité si les femmes étaient au pouvoir depuis le début ?), les femmes réussissent tous les jours une performance qui devrait nous faire réfléchir sur nos propres comportements: en dépit des sources bien plus grandes de stress qu'elles doivent affronter ce sont elles qui savent le mieux le gérer.

 

Je sais que ça fait monomaniaque mon histoire de gestion du stress et vous vous dites peut-être en lisant ça: "mais quel sujet dérisoire ce truc". Mais encore une fois la discipline porte mal son nom. Ce n'est pas juste de la gestion du stress, ça va bien plus loin, c'est de la gestion de vie. Et dans ce domaine je crois en effet que pour beaucoup de choses les femmes sont plus douées que nous les hommes, et que nous serions bien inspirés... de nous en inspirer.

 

D'abord, qu'elles affrontent des sources de stress plus grande que nous ne fait aucun doute. C'est vrai dans nos sociétés occidentales où leurs salaires, et donc la reconnaissance qu'on offre à leur travail, restent moindres que ceux des hommes à mêmes niveaux de qualification, où les accès aux postes de direction et/ou de décision, en entreprise ou en politique, leur sont bien moins ouverts (lien via Kozlika) qu'aux hommes. C'est vrai aussi parce qu'elles supportent encore de nos jours une pression sociale forte, que ce soit pour leur rôle dans la famille, ou pour leur place dans le couple. On le voit notamment au fait que les femmes célibataires sont plus perçues comme des cas anormaux que lorsqu'il s'agit d'hommes.

 

Et surtout, elles sont encore l'objet de maltraitances inadmissibles, et ce dans presque tous les pays du globe. En France plusieurs rapports (via Kozlika également) assez récents témoignent d'une situation alarmante, et ailleurs dans le monde ce n'est guère plus réjouissant. Malgré tout cela, les femmes d'une façon générale gèrent mieux leur stress que nous. Des experts s'étant penchés sur la question de façon précise nous rapporteraient peut-être tout un tas de raisons sociologiques à cela, mais je crois en fait que la raison principale est toute bête, et qu'elle est suffisante pour expliquer l'essentiel: les femmes savent mieux gérer leurs émotions que nous.

 

C'est un poncif? une caricature? Non, ou si peu. Les femmes, en tout cas la plupart d'entre elles, sont bien plus à l'aise que nous pour vivre et exprimer leurs émotions. Bien mieux que nous elles savent se montrer proches, attentives, spontanées. Alors que dans ce domaine les hommes sont un peu resté à l'âge des cavernes. Un des grands défauts des sociétés modernes est qu'elles font grandir les hommes en leur apprenant des valeurs faussées: l'honneur, la force de caractère, la virilité. L'homme c'est le gars qui reste digne et qui ne pleure pas dans l'adversité. Quelle ânerie oui. On confond solidité comportementale (celle qui permet d'affronter les évènements et de s'en relever) et insensibilité. Et on croit qu'un homme qui reste le dos droit en toute circonstance est à admirer. Cette croyance est un piège.

 

Un petit exemple simple pour étayer ceci. Quand j'ai suivi ma formation accélérée en gestion du stress, le formateur nous a proposé un exercice, que j'ai d'ailleurs déjà indiqué sur ce blog dans un ancien billet: il s'agissait de dire à trois personnes que nous les aimions, et de rapporter le lendemain au groupe comment les choses s'étaient passées avec les personnes auxquelles on l'avait dit. Et bien le lendemain en cours, on a constaté que toutes les filles avaient fait l'exercice, mais que les garçons qui l'avaient fait étaient bien rares. Je crois me souvenir que nous étions juste deux sur une quinzaine de gars. On s'est aperçu de quoi au travers de cet exercice? Et bien tout bonnement que les hommes ne l'avaient pas fait simplement parce qu'ils manquaient de courage, et de sensibilité. C'est loin de valoir une palme.

 

Alors aux femmes aujourd'hui je dis bravo et merci, pour ce qu'elles savent montrer dans leur comportement de tous les jours, et pour ce qu'elles nous apportent de spontané. Je vous poutoune.

06/03/2006

Quoique et l'accompagnement d'apprentis handicapés

Billet précédent de la série

 

Quand j'ai commencé il y a maintenant un mois et demi ma série de billets sur la notion d'aide, j'ai contacté Quoique  (qui semble aujourd'hui être victime d'un grand vide sur son blog, que se passe-t-il ?) pour lui demander de me rédiger quelque chose à propos de son travail. Quoique a poliment décliné mon invitation, sans doute déjà bien occupé par ses propres occupations.

 

Mais suite à un commentaire de François Brutsch chez Un swissroll j'ai tout de même envie d'écrire un petit quelque chose à sa place. Sans vouloir toutefois biaisé la réalité de son travail, ce qui va donc me forcer à faire plutôt court.

 

Quoique est éducateur travaille en Bretagne (déjà rien que ça c'est bon signe) auprès d'un organisme spécialisé (et ceux-ci semblent encore rares en France) dans le domaine social. Il accompagne des jeunes en situations d'échec scolaire, et souvent de handicap physique et/ou mental, afin de les aider à s'insérer convenablement dans la société, et notamment de trouver un emploi.

 

Ce qui m'intéresse dans cette démarche, au-delà du travail social admirable qu'elle représente, c'est la notion d'accompagnement. Celle-ci se base en effet sur une relation qui reste plutôt équilibrée par rapport à d'autres relations d'aide que l'on peut imaginer. Accompagner quelqu'un ce n'est pas faire le chemin à sa place mais bien aller avec lui. Il me semble ici que le rôle de l'accompagnateur se limite à ouvrir certaines portes dont l'apprenti n'a pas les clés, à offrir un appui, mais qu'il garde avec l'apprenti la distance qui permet à celui-ci de se rendre maître de ce qui lui arrive, et au final de devenir vraiment autonome.

 

Ca me fait penser à un adulte qui apprend à son enfant à faire du vélo. Au début il reste à côté, il tient un peu le guidon, il pousse la selle en courant à côté. Puis petit à petit il lâche les manettes, jusqu'à laisser l'enfant se débrouiller tout seul sans oublier toutefois de lui crier "attention" lorsqu'il aperçoit une simple feuille tomber devant la roue du vélo.

 

Accompagner un jeune en difficulté et l'aider à se sortir de sa situation d'exclusion ça doit être un peu ça: devenir pour un temps un compagnon de route, attentif et proposant les solutions pratiques nécessaires à mettre en oeuvre. Puis laisser le jeune filer sur sa route, en espérant qu'il ne tombe pas plus tard sans savoir se relever seul.

 

Evidemment Quoique, si vous lisez ce billet vous êtes plus que bienvenu pour le commenter et corriger les erreurs ou approximations que j'aurais pu commettre. J'ai aussi une question directe à vous adresser, qui me servira un peu je l'avoue à faire le lien avec mon prochain billet sur cette série: après qu'un apprenti ait trouvé un poste dans une entreprise conservez-vous des relations avec eux, ne serait-ce que pour prendre des nouvelles ou même juste pour vous retrouver, parlez du temps où vous travailliez ensemble, etc?

 

Billet suivant de la série